Si la CIE-SODECI tient le haut du pavé dans le procès marathon qui l’oppose aux travailleurs protégés du SYNASEG et du SYNATRASE depuis 2008, l’institution étatique gagnerait à faire amende honorable tant elle s’illustre dans ce dossier par une violation flagrante et méprisante de la loi.
L’hostilité congénitale au contrepouvoir politique est monnaie courante sous les tropiques. Quitte à s’arroger tous les pouvoirs et violer la loi à souhait tout en muselant les citoyens et les livrant en pâture à des décisions impopulaires et antisociales. C’est tout l’enjeu de la résistance farouche qu’opposent la Fédération Syndicale des Travailleurs de l’Eau et de l’Energie (FESENE) à l’ogre CIE-SODECI. Les faits remontent à 2008. Huit (8) travailleurs protégés, par ailleurs dirigeants de ladite fédération, sont illégalement licenciés par Marcel Zadi Kessy, alors Président du Conseil d’Administration du Groupe CIE-SODECI. ‘‘Faute lourde’’ et ‘‘perte de confiance’’ sont les raisons évoquées par le PCA Marcel Zadi Kessy dans les lettres de licenciement. Seulement l’employeur n’est nullement habilité à licencier des travailleurs protégés et son obstination à outrepasser les dispositions légales a le mérite de mettre en évidence son antipathie à l’encontre de ces délégués syndicaux. Une lucarne sur le statut de travailleur protégé participerait à mieux saisir le caractère illégal de ces licenciements prononcés à l’égard des huit (8) employés.
Statut de travailleur protégé
Le délégué du personnel tout comme le délégué syndical, est un travailleur protégé conformément à la loi N°95-12 du 12 janvier 1995 portant Code du Travail de la République de Côte d’Ivoire. (Au moment des faits, la loi n’étant pas rétroactive). L’aspect spécial des ces travailleurs dits ‘‘protégés’’ réside dans le fait que leur licenciement est soumis à l’autorisation préalable de l’inspection du Travail et des lois sociales. Une disposition de l’article 61.7, sans appel aussi bien reconnue par l’Organisation Internationale du Travail (OIT).
Illégalité et nullité des licenciements
D’emblée, il ne revient pas au PCA de représenter ou d’agir pour le compte d’une société anonyme, dans les actes au quotidien mais plutôt au PDG (Président Directeur Général) ou au DG (Directeur général) ou tout autre représentant selon les normes nationales, régionales voire internationales. La nullité et l’illégalité des licenciements opérés par Marcel Zadi Kessy en qualité de PCA de CIE-SODECI trouvent, de prime abord, leurs raisons ici. Dans la serie des ratés, l’employeur ne fait pas dans la dentelle. Il s’appuie sur l’article 87 de la Convention Collective Interprofessionnelle du 20 juillet 1977 pour prendre ses mesures. Il se pose à ce niveau une autre violation, celle de la hiérarchie des normes (classement hiérarchisé de l’ensemble des normes qui composent le système juridique d’un Etat de droit). Autrement exprimé, une disposition conventionnelle ne peut justifier le licenciement d’un travailleur protégé car la loi est au-dessus de la Convention. Laquelle loi ramène à l’article 61.7 du Code du Travail. « Tout licenciement d’un délégué du personnel envisagé par l’employeur ou son représentant doit être soumis à l’autorisation préalable de l’inspecteur du travail et des lois sociales. L’employeur ne peut poursuivre la rupture du contrat de travail parv d’autres moyens. », précise cet article. Le courrier N°26/MFPE (Ministère de la Fonction Publique et de l’Emploi) signé par le ministre Hubert Oulaye se veut sans ambages. « Par courrier en date du 22 juillet 2009, la Fédération Syndicale des Travailleurs de l’Eau et de l’Energie (FESENE) m’a saisi aux motifs que plusieurs de ses représentants qui sont pourtant des travailleurs protégés par la loi ont été licenciés sans autorisation préalable de l’inspection du travail, d’autres font l’objet de mesures arbitraires et enfin le siège du SYNASEG a également fait l’objet de fermeture abusive…j’ai l’honneur de vous inviter à faire respecter par les différents responsables de vos entreprises, la législation sus-évoquée, d’une part, par l’annulation des décisions de licenciement et la réintégration des travailleurs protégés concernés et d’autre part, par l’ouverture du siège du SYNASEG (Syndicat National des Agents du Secteur de l’Energie Ndlr) fermé depuis le 24 juillet 2009 », tranche le ministre. De même, l’opiniatreté du PCA Marcel Zadi Kessy à en découdre avec les délégués personnels se traduit dans ses courriers. « Celui-ci (l’inspecteur du travail Ndlr) n’a pas fait droit à notre requête », mentionnent toutes ses lettres de licenciement. Il va sans dire que le PCA s’est substitué à l’inspecteur du travail dans sa volonté de tenir la dragée haute aux délégués syndicaux. Enfin, il existe une juriprudence en la matière. Ainsi, deux verdicts des Tribunaux de Travail de Yopougon et du Plateau, saisis par des travailleurs protégés en 2007 et 2008 avaient mis en exergue la prédominance du Code du Travail sur la Convention Collective Interprofessionnelle. Cette juriprudence avait qualifié comme nul et de nul effet les licenciements des délégués du personnel Agbli Cyprien, Ogodon Ogodon, Koffi Yapo Germain et Yapo Léon Armand. Toute une kyrielle de raisons qui confortent la position des victimes : l’illégalité et la nullité des licenciements sont établies. La réintégration pure et simple de ces huit (8) travailleurs protégés s’imposent. Dura Lex Sex Lex (La loi est dure mais c’est la loi). La CIE-SODECI pourrait se laisser bercer par ce vent d’amendes honorables qui souffle sur la Côte d’Ivoire en ayant aussi le courage de reparer son tord dans ce dossier qui ne contribue qu’à la desservir.
Réaction de la CIE-SODECI
Suite à notre requête, l’entreprise mise en cause avance une autre raison pour justifier le licenciement des plaignants. Abandon de poste, brandit la CIE-SODECI à Yao Kouadio Francois, Bilé Amon et aux quatre autres. «Tous ex-agents CIE et ex-salariés SODECI furent mutés dans d’autres Directions, mais n’ont jamais regagné leur poste de Travail, ni aux dates indiquées pour leur prise de service ni aux jours suivants. », avance l’employeur qui s’appuie sur un constat d’huissier. Le groupe poursuit pour dire que la requête des plaignants en date du 11 avril 2016 auprès du Tribunal d’Abidjan en vue de leur réintégration ainsi que du paiement des dommages et intérêts pour licenciement abusif a été débouté à l’audience du 7 juin 2018.
Cyrille NAHIN