Forts de leur célébrité et de leurs réseaux, les deux hommes sont candidats dans leurs pays respectifs, la Côte d’Ivoire et le Cameroun, où l’élection aura lieu en décembre.
Ils ont trois ans d’écart, ont évolué dans de grands clubs européens et remporté de nombreux titres collectifs et individuels. Les attaquants Samuel Eto’o (Cameroun) et Didier Drogba (Cote d’Ivoire ) ont également gagné beaucoup d’argent durant leur carrière. Ils auraient pu profiter de leur retraite sportive pour gérer leurs affaires et suivre de loin l’actualité footballistique… Tous deux ont pourtant fait le choix de se porter candidats à la présidence des fédérations de leurs pays de naissance respectifs, où l’élection aura lieu en décembre.
Didier Drogba, 43 ans, avait annoncé dès 2019 sa volonté succéder à Augustin Sidy Diallo, décédé le 21 novembre 2020 après avoir contracté la COVID-19 à la tête de la Fédération ivoirienne de Football (FIF). Face à lui, l’ancien capitaine des Eléphants trouvera Sory Diabaté et Idriss Diallo, qui ont tous deux occupé la vice-présidence de la FIF.
Au Cameroun, la candidature de Samuel Eto’o, officialisée le 22 septembre, a été accueillie presque comme une évidence. En 2018, l’ancien capitaine de la sélection nationale avait soutenu Seidou Mbombo Njoya, l’actuel président de la Fédération camerounaise de football (Fécafoot), qui devrait se représenter. Deux autres anciens Lions indomptables, Jules Onana et Emmanuel Maboang, postulent également.
Tous les deux font campagne sur des thèmes similaires, tels que la valorisation des championnats professionnels, le développement du football féminin, les compétitions de jeunes ou une meilleure gouvernance. Très populaires dans l’opinion publique et dans la presse, ils disposent également d’un certain capital sympathie auprès du corps électoral, composé des différentes familles du football (joueurs, entraîneurs, arbitres…). Des soutiens cependant loin de leur garantir une élection dans un fauteuil.
« Pas que des amis parmi les footballeurs »
Didier Drogba a ainsi connu un camouflet de taille en ne parvenant pas à rallier à sa candidature l’Association des footballeurs ivoiriens (AFI), dont il est pourtant un membre fondateur. L’AFI lui a reproché son manque d’engagement pour le football ivoirien. « Il a fait carrière en Europe, en Chine et aux Etats-Unis et quand il revenait en Côte d’Ivoire, c’était pour les matchs de la sélection ou à titre privé. Il ne suivait pas de très près la situation du foot local. Par la force des choses, il y est plus attentif aujourd’hui, observe un joueur à la retraite. Drogba n’a pas que des amis parmi les footballeurs. Certains l’adulent, mais d’autres le jugent trop froid ou trop individualiste. »
A contrario, Samuel Eto’o a souvent manifesté un réel intérêt pour le football de son pays natal. « Il s’est impliqué personnellement pour que le Cameroun conserve l’organisation de la CAN [Coupe d’Afrique des nations] en 2022 », note Claude Jabéa Bekombo, coordonnateur du Centre de recherche sur le sport en Afrique, à Yaoundé. Depuis plusieurs mois, Samuel Eto’o voyage, rencontre et consulte beaucoup. Il sonde de nombreux ex-internationaux camerounais afin de les convaincre de le soutenir – ce que certains, contactés par Le Monde Afrique, hésitent encore à faire. « Eto’o a eu des conflits avec des coéquipiers et tous ne les ont pas oubliés », glisse un ancien Lion indomptable.
Les deux attaquants ont des personnalités différentes. Didier Drogba n’est pas un habitué des déclarations fracassantes, contrairement à son cadet, connu pour dire tout haut ce qu’il pense. L’Ivoirien a toujours gardé ses distances avec les médias, tandis que le Camerounais s’expose plus volontiers. Samuel Eto’o a cependant fait le choix de communiquer de manière très calculée sur sa candidature. « Il a une équipe, un site Internet, mais il s’active surtout dans les discussions entre les différents acteurs du foot local. Pour l’instant, il préfère ça aux plateaux télé, aux journaux ou aux radios », poursuit Claude Jabéa Bekombo.
En revanche, « on entend trop peu Drogba : son nom et son aura ne suffiront pas à convaincre le corps électoral, même si ce ne sont pas les supporteurs et les journalistes qui votent », estime Kae Oulaï, président de l’Association des entraîneurs et éducateurs de football de Côte d’Ivoire. Certains de ses proches lui ont conseillé, pour l’instant sans succès, de mieux vendre son programme.
Attirer les investisseurs étrangers
Les deux candidats misent beaucoup sur leur célébrité et leurs réseaux pour s’attirer les voix du corps électoral. Didier Drogba comme Samuel Eto’o estiment pouvoir ouvrir le football local à des investisseurs étrangers et disposer ainsi de financement pour des projets de développement.
Mais selon Salif Bictogo, le président du Stella Club d’Adjamé (une formation de Ligue 1 basée à Abidjan), être une star ne garantit pas que l’argent privé coulera à flots dans les caisses de la fédération : « Drogba a identifié les besoins et estime pouvoir apporter des solutions en mettant en avant sa notoriété pour attirer de nouveaux partenaires économiques capables de générer des revenus. Mais ceux-ci n’investiront pas pour ses beaux yeux. Ils attendront quelque chose en retour. »
Les deux hommes, qui se sont lancés dans le business bien avant la fin de leur carrière sportive, ont l’habitude de négocier et signer des contrats financiers. De quoi faire pencher la balance en leur faveur ? « Il y a une nouvelle gouvernance à la CAF [Confédération africaine de football], avec un président milliardaire [le Sud-Africain Patrice Motsepe]. Et on peut penser que l’instance encourage certains anciens joueurs ayant une fibre pour les affaires à prendre des responsabilités dans leurs pays, glisse un journaliste ivoirien. Pour avoir des gens proches de ses idées à des postes clés dans de grosses fédérations… »