Familier des prétoires internationaux et conseil de Laurent Gbagbo, l’avocat français est au côté de Félicien Kabuga, l’argentier présumé du génocide rwandais, arrêté le 16 mai en banlieue parisienne
Les faits – Arrêté dans un appartement d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), Félicien Kabuga, 84 ans, est soupçonné d’être le principal financeur du génocide rwandais. Il devait être entendu cette semaine par le parquet national à Paris. Une audience devant la chambre des mises en accusation sera ensuite organisée afin de décider de son extradition vers les Pays-Bas pour être jugé par une juridiction internationale à La Haye.
Emmanuel Altit aime les causes a priori perdues. L’avocat de Laurent Gbagbo, poursuivi pour crimes contre l’humanité, assure aussi dorénavant la défense de Félicien Kabuga, soupçonné d’être le grand argentier du génocide rwandais. Arrêté samedi dans un appartement à Asnières-sur-Seine après vingt-deux ans de cavale, cet homme d’affaires proche de l’ancien régime de Kigali risque une extradition vers La Haye où il sera jugé par le Mécanisme international, un organe créé par l’Onu en 2010 pour boucler le procès des derniers fugitifs poursuivis par les ex-tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda.
Dans un premier temps, l’équipe d’Emmanuel Altit va tenter d’empêcher l’extradition de son client vers les Pays Bas même si elle se prépare déjà à une procédure internationale. « Si ce procès a lieu, les avocats de la défense devraient rouvrir la boîte de Pandore pour remettre en cause la version des autorités rwandaises, explique une source au cœur de ce dossier. On pourrait revenir sur l’élément déclencheur et non élucidé du génocide, l’attentat contre l’avion de feu le président Juvénal Habyarimana. »
Figure bien connue des prétoires internationaux, Emmanuel Altit aime les grands procès pour l’histoire. « C’est un personnage énigmatique avec lequel j’entretiens des rapports professionnels et courtois, confie Me Jean-Paul Benoit, avocat de l’Etat ivoirien dans l’affaire Laurent Gbagbo. Il fait partie de ces avocats qui ont milité dans des structures droit-de-l’hommistes, toujours soucieuses — en apparence — du bien commun ! »
Il rejette l’étiquette dont certains de ses détracteurs veulent l’affubler, celle d’un avocat du diable dans la lignée de Jacques Vergès
Fibre africaine. Emmanuel Altit se veut libéral sur le plan des idées. Il a grandi dans une famille bourgeoise à la sensibilité de gauche. Fils d’un père cinéaste et écrivain, il voue une admiration profonde à Robert Badinter et rejette l’étiquette dont certains de ses détracteurs veulent l’affubler, celle d’un avocat du diable dans la lignée de Jacques Vergès.
Diplômé en droit international de La Sorbonne, l’avocat parisien de 55 ans possède une fibre africaine. Il a posé ses valises au Liberia en 1988 comme attaché culturel avant d’être rapatrié au début de la guerre civile. Il poursuit ensuite ses études d’avocat et prête serment devant le barreau de Paris en 1992. Attiré par le droit pénal, il se rapproche ensuite d’Avocats sans frontières Belgique. Il part en mission au Rwanda en 1998 pour défendre aussi bien des accusés que des victimes dans les procédures pénales.
En 2001, l’avocat est envoyé par le Conseil de l’Europe en Bosnie afin de participer aux réformes de la justice pénale après la guerre. En tant que conseil du jeune Etat, il participe aux réunions internationales pour mettre en place le corpus juridique de la Cour pénale internationale (CPI).
Mandaté par l’Union européenne et l’Onu, il intervient aussi en RD Congo et en Bulgarie. « L’objectif était de mettre en œuvre des réformes afin d’ancrer les principes démocratiques au niveau juridique », confie Emmanuel Altit.
En France, l’avocat représente les victimes de terrorisme et des communautés, comme les pieds noirs et les harkis, au début des années 2000. Il permettra notamment de faire reconnaître le drame vécu par les Français d’Algérie et le massacre dont ont été victimes les supplétifs de l’armée française après l’indépendance de ce pays.
Il s’intéresse aussi aux victimes des exactions au Cambodge, puis défendra, à partir de 2005, des militants des droits de l’homme en Syrie comme Aktham Nayssé. Sa notoriété va bondir lorsqu’il mène, pour avocats sans frontières, les tractations pour la libération des infirmières bulgares en Libye, un dossier pour lequel l’ex première dame, Cécilia Sarkozy s’est impliquée. Cela lui vaudra — à tort — l’étiquette de sarkozyste. Certains proches de Laurent Gbagbo l’accuseront même d’être une taupe à la solde de la France lorsqu’il deviendra le défenseur de l’ex-président ivoirien devant la CPI.
Il défend et conseille, tour à tour, les opposants, les Etats comme les entreprises, aujourd’hui comptables de leurs activités dans les pays en conflit
Approche anglo-saxonne. « Il a fait partie d’une génération d’avocats bénévoles qui ont fait leurs premières armes dans les procédures liées au génocide au Rwanda pour Avocats sans frontières et sont devenus des références pour la justice internationale lors de la mise en place du Tribunal pénal international pour le Rwanda », souligne Me François Cantier, ex-président d’Avocats sans frontières.
Me Altit a obtenu notamment l’acquittement d’Hormisdas Nsengimana, un prêtre catholique accusé de complicité de génocide devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Son client, Laurent Gbagbo, a aussi été acquitté dernièrement par la CPI, une décision qui fait l’objet d’un appel.
A Paris, Emmanuel Altit est aujourd’hui à la tête d’une des rares études françaises spécialisé dans les affaires pénales internationales. Il assure la défense et conseille, tour à tour, les opposants, les Etats comme les entreprises, aujourd’hui comptables de leurs activités dans les pays en conflit. Très actif dans les affaires africaines, il défend l’opposant gabonais Jean Ping et les victimes de la dernière présidentielle et s’est occupé un temps de Michel Atangana, un expert franco-camerounais longtemps incarcéré injustement à Yaoundé.
Dans les affaires devant la CPI, le pénaliste constitue des équipes pluridisciplinaires composées de juristes, historiens, avocats. Cultivant une approche anglo-saxonne, il se veut intraitable sur le droit tout en politisant et médiatisant ses affaires.
La défense de Félicien Kabuga pourrait ressembler à celle de Laurent Gbagbo. Connaisseur de l’époque napoléonienne, l’avocat se compare en plaisantant à l’ex-empereur : « Napoléon, c’est moi ! ». Ses procès sont des champs de bataille dans lequel il cherche à ouvrir des brèches pour attirer l’adversaire, frapper là où il ne l’attend pas. Chaque membre de son équipe à une mission particulière, celle de détruire les arguments juridiques, médiatiques ou politiques de l’adversaire avec un art consommé de la dramaturgie.