Après le décès d’Amadou Gon Coulibaly, le chef de l’Etat devrait se choisir un nouveau dauphin pour la présidentielle d’octobre… à moins qu’il se représente
Les Faits – Le Premier ministre ivoirien, Amadou Gon Coulibaly, est mort subitement mercredi à Polyclinique internationale Sainte Anne-Marie à Abidjan, à l’âge de 61 ans. Un décès qui rebat les cartes de l’élection présidentielle du 31 octobre prochain.
« Me revoilà de retour en forme…», assurait Amadou Gon Coulibaly, à son retour à Abidjan le 2 juillet après un séjour médical de deux mois à Paris où les médecins lui ont posé un stent au cœur après une transplantation en 2012. Il assurait être enthousiaste à l’idée de « continuer l’œuvre du développement de la Côte d’Ivoire » au côté d’Alassane Ouattara. Mais le lion, son surnom, est décédé mercredi peu après un conseil des ministres où il a fait un nouveau malaise. Pour le président ivoirien, cette disparition est un coup du sort à un peu plus de trois mois de la présidentielle puisqu’il avait fait d’Amadou Gon Coulibaly son dauphin, en mars dernier.
Les deux hommes s’étaient rencontrés à la fin des années 1980. Alassane Ouattara est alors gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest et Amadou Gon Coulibaly officie comme ingénieur de la Direction et contrôle des grands travaux. Il rejoindra ensuite le cabinet de Ouattara, devenu Premier ministre, participera à la mise sur pied du Rassemblement des républicains (RDR, parti du chef de l’Etat) en 1994, puis sera de tous les combats politiques jusqu’à l’avènement de son mentor au pouvoir en 2011. Secrétaire général de la présidence jusqu’en 2017, il sera ensuite nommé Premier ministre.
Au fil du temps, les deux hommes avaient lié une solide amitié allant bien au-delà de l’association politique. Lorsqu’on sondait le président sur la succession, Amadou Gon Coulibaly était cité en premier, suivi de Patrick Achi, 64 ans, et d’Hamed Bakayoko, 55 ans. Fonctionnant à la confiance, Alassane Ouattara, 78 ans, devrait choisir son nouvel héritier entre ces deux derniers, qui sont également ses proches collaborateurs. Ils incarnent le renouvellement générationnel qu’il souhaite voir émerger.
Secrétaire général de la présidence après avoir été ministre des Infrastructures, Patrick Achi gère particulièrement les dossiers relatifs à l’économie et aux grands chantiers de l’Etat. « C’est un homme très loyal au Président qui l’apprécie, explique un proche de Ouattara. Il a toute sa confiance et doit être compatible avec les caciques du nord qu’il respecte et traite avec égards. »
Commis de l’Etat. Sa relation avec le Président s’est véritablement affirmée durant la crise ivoirienne de 2010-2011, même si les deux hommes se connaissent depuis le début des années 2000. Reclus à l’hôtel du Golf comme le chef de l’Etat, il sera l’un des artisans de l’étranglement financier et politique du camp Gbagbo. Très à l’aise en anglais après avoir fait un master en management de l’Université de Stanford en Californie, il a notamment assuré la coordination avec la communauté internationale.
Patrick Achi est plus un grand commis de l’Etat qu’un politicien. Discret, fuyant souvent les médias, cet ancien consultant du cabinet Andersen a réformé les finances publiques au milieu des années 1990, restructuré la filière cacao dans les années 2000. Il est apprécié à l’Elysée et au Quai d’Orsay où on loue sa capacité à faire avancer les dossiers bilatéraux.
Pour les Occidentaux, c’est le dauphin idéal pour la sauvegarde de leurs intérêts alors que d’autres prétendants sont plus attirés par les sirènes chinoises. Alassane Ouattara voit aussi en lui l’âme d’un « bâtisseur » à même de garantir la continuité de ses chantiers.
« Le Président pourrait le nommer rapidement chef de gouvernement et le faire investir ensuite par le parti durant l’été », explique un confident de Ouattara.
Mais l’équation politique ivoirienne répond à bien d’autres considérations, bien plus culturelles et religieuses. Alassane Ouattara a été porté au pouvoir par les nordistes musulmans qui se sentaient discriminés sous ses prédécesseurs… Et Patrick Achi est métis, fils d’un père attié (communauté du sud chrétien) et d’une mère bretonne. C’est aussi un transfufe du parti démocratique de Côte d’Ivoire, un handicap pour ses détracteurs. Ouattara peut-il l’imposer aux caciques de son parti et à son entourage ?
Chouchou. « La Première dame, Dominique Ouattara, lui préfère Hamed Bakayoko, qui a été son directeur lorsqu’elle a acquis les franchises de Radio Nostalgie dans les années 1990. Sa voix compte auprès du Président même s’il ne la suit pas dans tous ses choix. » Originaire de Séguéla dans le Nord musulman, Hamed Bakayoko est un ancien leader estudiantin, peu intéressé par les grands travaux et bien plus par les affaires. Il a récupéré un certain nombre d’activités gérées par les pro-Gbagbo au lendemain de la crise post-électorale. Les entrepreneurs passent souvent par lui lorsqu’ils ont besoin de faire passer un message où de régler un dossier.
Intuitif, très politique, il a mis la main sur les dossiers sécuritaires, d’abord à l’Intérieur puis à la Défense. Patron de la Grande loge de Côte d’Ivoire (GLCI), il possède un important réseau maçonnique en Afrique. Il a une certaine assise au sein de la majorité même si les proches d’Amadou Gon Coulibaly et d’Adama Bictogo, autre cacique, s’en méfient.
Fidèle soldat, Hamed Bakayoko a acté la préférence de Ouattara, en mars, pour un autre dauphin. On lui a fait comprendre que Gon Coulibaly ne ferait qu’un seul mandat et que son heure arriverait ensuite. Il s’est donc engagé dans la campagne. Maire d’Abobo, un quartier d’Abidjan qui compte 400 000 électeurs, il est proche de sportifs et d’artistes dont il se sert pour séduire la jeunesse.
« Hamed Bakayoko est sur une rampe de lancement, estime l’un de ses adversaires politiques. Son parti s’est toujours fondé sur une légitimité de sang ethnoculturelle et Alassane Ouattara est un chef africain qui a toujours tenu compte de cette donne. »
Mais le ministre de la Défense est peu apprécié des chancelleries occidentales. « Paris et Washington seront vent debout si le Président le choisit, assure une source française. Ce sera aussi un signe qu’il s’est émancipé de Paris. » Réputé noceur, Hamed Bakayoko est longtemps apparu sur les pages des magazines people où on le voyait en bonne compagnie en boîte de nuit. Mais il s’est assagi depuis quelques années afin de se façonner une stature d’homme d’Etat.
Le choix est cornélien pour Alassane Ouattara. Et son horizon temporel est limité alors que le dépôt des candidatures à la présidentielle débute le 16 juillet pour s’achever le 1er septembre. D’aucuns pensent qu’il pourrait in fine se représenter, quitte à écourter son mandat présidentiel au profit d’un de ses dauphins. Un revirement qui porterait les germes d’un conflit sociopolitique. L’opposition et la société civile ne manqueront pas de dénoncer le reniement de son engagement à quitter la scène et l’inconstitutionnalité d’une telle décision.