Le président Alassane Ouattara a été réélu pour un troisième mandat controversé avec 94,27% des voix au premier tour, l’opposition ayant boycotté le scrutin, selon les résultats partiels proclamés mardi 3 novembre par la Commission électorale indépendante.
« On ne se bat pas au chevet d’une mère malade », aimait dire le président Félix Houphouët-Boigny à propos de la Côte d’Ivoire. Pouvoir comme opposition auraient intérêt à prendre en compte cet adage du père de la nation, qui a gouverné le pays de 1960 à 1993, alors que se profile une nouvelle crise post-électorale.
Car l’histoire se répète depuis l’introduction du multipartisme par le même Houphouët-Boigny en mai 1990. Seule la présidentielle tenue cinq mois après l’ouverture du jeu politique a connu un épilogue heureux, malgré l’enregistrement de fraudes. Le scrutin de 1995 fut marqué par un boycott actif de l’opposition ; celui de 2000 n’a pas été inclusif et s’est achevé par un affrontement militaire puis partisan ; celui de 2010 a dégénéré en une crise post-électorale qui a fait au moins 3 000 morts. La présidentielle de samedi dernier, n’échappe pas à cette règle. Elle avait déjà été endeuillée par 30 morts durant la campagne. Au moins cinq autres personnes ont été tuées dans des affrontements, le jour du vote, dans le centre du pays.
Selon la Mission internationale d’observation électorale (MIOE) conjointe de l’Institut électoral pour une démocratie durable en Afrique (Eisa) et du Centre Carter (TCC), « le contexte politique et sécuritaire n’a pas permis d’organiser une élection présidentielle compétitive et crédible ». A cela plusieurs raisons : une modification non consensuelle du code électoral, menée par ordonnance six mois avant le scrutin ; un fichier électoral contesté ; la décision d’Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat après s’être engagé à ne pas être candidat à sa propre succession ; un processus qui a exclu plusieurs forces politiques ; les appels de l’opposition à la désobéissance civile…
Discours de haine. Sur quatre candidatures acceptées, seuls Alassane Ouattara et l’indépendant Kouadio Konan Bertin ont in fine battu campagne. L’opposition a appelé à empêcher la tenue du scrutin. Résultat : les opérations de vote ont été perturbées (barrages de routes, intimidations, harcèlement, violences contre des agents électoraux, attaques des bureaux de vote, destructions de matériel, affrontements partisans…) à l’est, au centre et à l’ouest, et dans une moindre mesure, au sud du pays.
Sans réel opposant, le président sortant âgé de 78 ans était assuré d’être réélu. Il l’a été avec près de 95% des voix selon les résultats partiels proclamés par la Commission électorale indépendante mardi matin. La CEI a déclaré que le taux de participation pour l’élection de samedi était de 53,9%.
« Les menaces, ouvertes ou voilées, associées aux incitations aux meurtres et à la révolte révèlent que les protagonistes ont franchi une nouvelle étape dans le passage à l’acte »
L’équipe Ouattara prédisait une participation supérieure à 55 % contre 6 à 10% pour l’opposition. Chaque camp, comme l’ont remarqué les observateurs, prend des largesses avec la vérité, notamment dans des campagnes bien orchestrées sur les réseaux sociaux. Plus grave : le groupe de plaidoyer PTI (Programme transition et inclusion politique) a dénombré 116 discours de haine relayés sur des groupes, des pages et des profils. « Les menaces, ouvertes ou voilées, associées aux incitations aux meurtres et à la révolte révèlent que les protagonistes ont franchi une nouvelle étape dans le passage à l’acte », déplore le rapport de ces observateurs.
Vœu pieux. Dès ce week-end, l’opposition a invité la communauté internationale à prendre acte de la fin du mandat du président Ouattara. Elle a appelé à la mise en place d’un gouvernement de transition afin « de créer les conditions d’une élection présidentielle juste, transparente et inclusive ». « La population attend la publication des résultats pour restaurer l’ordre républicain, veut croire un opposant. Je crains qu’il n’y ait pas d’autres moyens que la confrontation. »
De son côté, le pouvoir prépare déjà le nouveau mandat du chef de l’Etat. Patrick Achy, le secrétaire général de la présidence, finalise la feuille de route économique. Le président Ouattara pourrait ouvrir le jeu politique pour sortir de la tourmente. « Le chef de l’Etat n’est pas insensible aux demandes de la communauté internationale, plaide l’un de ses proches. Il sait ce qu’il lui doit pour son avènement au pouvoir au 2010. Il proposera l’ouverture aux opposants qui veulent travailler et ne sont pas trempés dans les crimes de sang. » Selon ce fidèle, les partis d’opposition se disloqueront à l’issue des législatives promises avant la fin de l’année. Le pouvoir compte récupérer et intégrer quelques-uns de leurs cadres dans le futur gouvernement, mis en place après ce scrutin.
Il espère aussi que le Front populaire ivoirien (FPI) et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) tourneront la page de leurs leaders respectifs, les anciens présidents Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié. Un vœu qui devrait rester pieux tant les trois héritiers de Félix Houphouët-Boigny ont personnifié leur pouvoir.