L’Afrique fait son retour à la tête de l’OIF, tandis que l’Arabie saoudite, contestée au sujet des droits de l’homme, a retiré sa demande d’adhésion.
Sans surprise, le 17e sommet de la Francophonie à Erevan s’est achevé, vendredi 12 octobre, avec l’élection par consensus de la cheffe de la diplomatie rwandaise, Louise Mushikiwabo, sous les acclamations des représentants des Etats membres réunis à huis clos. « Je ne vais pas faire de miracle et réinventer la boussole, car la Francophonie existe depuis longtemps », a affirmé la nouvelle secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), qui, en évoquant les combats nécessaires pour préserver le multilatéralisme, a déclaré vouloir « placer l’organisation commune à l’endroit qu’il faut là où elle peut faire la différence ».
L’intronisation de Mme Mushikiwabo consacre le retour de l’Afrique à la tête de l’OIF, qui avait toujours été dirigée par des Africains sauf pendant les quatre années de Michaëlle Jean, Canadienne d’origine haïtienne. Celle-ci s’est battue jusqu’au bout pour obtenir un second mandat, mais sans aucune chance après que le Canada et le Québec, ses deux principaux soutiens, ont annoncé, à l’avant-veille du sommet, se rallier au consensus autour de la Rwandaise.
Le discours de Mme Jean a sonné comme un ultime baroud. Au sein d’une organisation habituée aux compromis feutrés, elle a décidé de mettre les pieds dans le plat. « Sommes-nous prêts à accepter que la démocratie, les droits et les libertés soient réduits à de simples mots que l’on vide de leur sens au nom de la realpolitik, de petits arrangements entre Etats ou d’intérêts particuliers, alors que cette aspiration légitime à plus de liberté, plus de justice, plus de dignité, plus d’égalité est une aspiration universelle, portée toujours plus énergiquement par les jeunes et par les femmes ? », a-t-elle lancé lors du discours d’ouverture du sommet, jeudi matin.
Et de renchérir : « Sommes-nous prêts à laisser gagner le relativisme culturel alors que nous devrions saisir l’occasion de son 70e anniversaire pour marteler que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 n’est pas une production occidentale ? » Mme Mushikiwabo, reflétant la position de Kigali, martèle depuis des années que « les droits de l’homme et la démocratie ne sont pas des valeurs très claires » et que les Africains ont leurs propres conceptions en la matière.
La virulence des propos de la secrétaire générale sortante a choqué, y compris au sein de délégations africaines qui n’étaient guère enthousiastes sur le choix de la ministre rwandaise. « Michaëlle Jean elle-même avait été désignée en 2014, au sommet de Dakar, par de telles discussions entre Etats, alors que les Africains n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur une candidature commune », relève un diplomate français.
La première journée du sommet d’Erevan avait été dominée par les débats sur l’adhésion de nouveaux membres observateurs. L’Irlande et Malte, qui comptent respectivement 12 % et 13 % de francophones, selon l’OIF, ainsi que la Gambie, petit pays largement anglophone entouré de pays francophones, et l’Etat américain de Louisiane, où vivent 200 000 francophones, ont été acceptés comme membres observateurs.
L’Arabie saoudite, qui souhaitait également ce statut, a quant à elle retiré sa demande d’adhésion, jeudi, face l’hostilité rencontrée en plein scandale de la disparition d’un journaliste critique du régime de Ryad, Jamal Khashoggi, jamais revu après être entré au consulat saoudien d’Istanbul le 2 octobre. Cette candidature était combattue par le Canada, deuxième bailleur de fonds de l’OIF, dont l’ambassadeur à Ryad a été expulsé début août après l’envoi d’un tweet du ministère canadien des affaires étrangères appelant l’Arabie à libérer des militants des droits humains récemment arrêtés.
La France était également critique, mais à demi-mot. Dans son discours prononcé jeudi, le président Emmanuel Macron a souhaité une révision de la Charte de la Francophonie, concernant notamment les modalités d’adhésion à l’OIF : « Faut-il se contenter de prendre quelques engagements en matière de respect des droits de l’homme ? », s’est-il demandé dans une allusion claire à l’Arabie saoudite. Sans cependant y voir de contradiction avec le fait que Paris a été le principal soutien, avec l’Union africaine, de la ministre rwandaise, alors que son pays figure au 159e rang (sur 180 pays) du classement 2017 de la Fédération internationale des droits de l’homme.
Par Marc Semo (LE MONDE)