Les faits – L’ancien Premier ministre du Japon Shinzo Abe est mort après avoir été atteint par des tirs lors d’un discours en public, a rapporté vendredi la chaîne NHK.
C’est aux alentours de 11h30 heure locale (4h30 heure française) que l’ancien Premier ministre Shinzo Abe a été victime d’un attentat. Alors qu’il faisait campagne en faveur de Kei Sato, un candidat à l’élection sénatoriale de dimanche, à Nara, dans l’ouest du Japon, l’ancien du chef du gouvernement a été touché à la poitrine et dans le cou par deux coups de feu tirés par un homme qui a ensuite été arrêté.
D’après les images vidéo et les photos diffusés par les médias et sur les réseaux sociaux, Shinzo Abe était inconscient lorsqu’il a été pris en charge par les secours et il serait en état d’arrêt cardiopulmonaire. L’assaillant répondant au nom de Tetsuya Yamagami est un ancien membre des forces d’autodéfense maritime qu’il a quitté en 2005. Il a tiré sur le politicien, au moment où celui-ci venait d’entamer son discours installé sur un petit bloc de plastique rouge, à l’aide d’une arme de conception artisanale composée de deux tubes tenus par du ruban adhésif. Une fumée blanche s’est échappée de l’arme après le second coup de feu.
Shinzo Abe a dirigé le gouvernement à deux reprises entre 2006 et 2007 et entre 2012 et 2020, établissant un record de longévité à ce poste. Il avait quitté ses fonctions pour raison de santé, mais demeurait l’une des personnalités les plus influentes au sein du Parti libéral-démocrate (PLD) actuellement au pouvoir.

Mainmise. Le PLD a pratiquement la mainmise sur la politique du pays depuis 1955, et la grande question qui se posait ce dimanche n’était pas de savoir s’il allait conserver le pouvoir, mais avec quelle marge il allait remporter la victoire et si celle-ci lui permettrait de mener à bien l’une des réformes à laquelle M. Abe était le plus attaché, à savoir la réforme de la Constitution, en particulier son article 9 qui interdit au pays de recourir à la guerre. Une majorité absolue à la Chambre haute (sénat) lui permettrait en raison de son contrôle de la Chambre basse de pouvoir mettre en place cette révision constitutionnelle.
Petit-fils de l’ancien Premier ministre Nobusuke Kishi au début des années 1960, Shinzo Abe voulait accomplir le rêve de son grand-père et de faire du Japon « un pays comme les autres »en renonçant notamment à sa Constitution pacifiste. Durant ces deux mandats, il n’y est pas parvenu, mais il a réussi à imposer une réinterprétation de la Constitution permettant notamment aux forces d’autodéfense de participer à des opérations sur des théâtres extérieurs. La sécurité du Japon dans le contexte de la guerre en Ukraine et des activités de la Chine autour du Japon est l’un des thèmes de la campagne électorale à laquelle Shinzo Abe apportait son concours en prononçant divers discours à travers tout le pays.
Au Japon, il est très courant de voir des personnalités politiques de premier plan venir soutenir des candidats dans des rassemblements improvisés à la sortie de gare comme c’était aujourd’hui le cas devant celle de Yamato Saidaiji, à Nara.
Même si la question de la victoire du PLD ne se posait pas, cela ne signifie pas pour autant que le parti conservateur bénéficie d’un soutien sans faille de la population. Selon un récent sondage, seuls 28% des Japonais le soutiennent et il doit essentiellement son pouvoir à l’absence d’une véritable opposition capable de mobiliser les électeurs. Le discours comme celui que M. Abe allait prononcer avant d’être abattu est typique des vingt jours précédant une élection, la seule période où la campagne est autorisée. Il est courant qu’il y ait une présence policière autour de personnalités comme M. Abe, mais les perturbations et les violences sont extrêmement rares au Japon.
Le dernier attentat contre un politicien remonte à 2007 lorsque le maire de Nagasaki Iccho Ito a été tué par un yakuza alors qu’il faisait campagne pour sa réélection. Les motivations du tireur n’avaient rien de politique. Pour ce qui est de l’assaillant qui a tiré sur Shinzo Abe, aucune information ne permet de savoir ce qui l’a conduit à s’en prendre à l’ancien Premier ministre. Ce dernier est une personnalité clivante dont le discours nationaliste a suscité dans le pays de nombreuses réactions négatives, en particulier au sein de la jeunesse et de la gauche.

Ultra-nationnaliste. Dans le même temps, ses prises de position ont favorisé la montée en puissance de groupes ultra nationalistes dont les discours anticoréen et antichinois ont pu se faire entendre beaucoup plus facilement. Le fait que le suspect arrêté a été membre des forces d’autodéfense pourrait laisser penser qu’il ait été déçu par le décalage entre le discours et la réalité de l’engagement du Japon face à la Chine. L’annonce de l’attentat contre M. Abe a suscité des réactions de joie sur les médias sociaux chinois. 15 minutes après la publication de la nouvelle sur le compte Weibo, l’équivalent de Twitter, de la chaîne publique CCTV, plus de 500 000 personnes avaient salué la nouvelle et plus de 12 000 commentaires avaient été postés. Parmi eux, on pouvait lire « un héros anti-japonais », « merci », « en bonne condition dans la tombe », « vive la paix, n’oubliez pas l’histoire ».
L’un des grands reproches fait à l’ancien Premier ministre était son rapport à l’histoire. Né en 1954, il fait partie de cette génération qui n’a pas connu la Seconde Guerre mondiale. Ses offrandes répétées au sanctuaire Yasukuni, à Tokyo, où l’on honore la mémoire des militaires japonais morts pour la patrie, y compris des criminels de guerre, ont contribué à tendre les relations avec ses voisins immédiats, la Chine et la Corée. Mais dans le contexte des tensions grandissantes avec Pékin, Shinzo Abe n’a pas cherché à atténuer ses positions, choisissant d’adopter une attitude ferme sur ces sujets au point de détériorer les rapports avec Séoul. Il a aussi largement contribué à renforcer les liens avec les Etats-Unis dont le Japon est le principal allié en Asie.
L’attentat dont l’ancien Premier ministre a été victime vendredi matin plonge le Japon dans une certaine stupeur. Il rappelle certaines heures sombres de son histoire, notamment au début du XXe siècle où les assassinats politiques étaient nombreux et menés dans des circonstances de tensions nationalistes. Le dernier attentat aux motivations politiques remonte à 1960 lorsque le leader socialiste Inejiro Asanuma avait été assassiné par un jeune militant d’extrême droite qui lui reprochait notamment son engagement contre la politique de Nobosuke Kishi, le grand-père de Shinzo Abe.

Il est difficile de savoir qu’elles seront les conséquences de l’attaque contre l’ancien chef du gouvernement. Lorsqu’en 1980, le Premier ministre Masayoshi Ohira était décédé d’une crise cardiaque pendant la campagne électorale, le PLD, pourtant en difficulté à ce moment-là, avait remporté une victoire massive lors du scrutin qui s’était tenu quelques jours plus tard. Il est fort probable que l’on assiste au même résultat dimanche au regard des réactions recueillies par les médias japonais depuis l’annonce de l’attentat.
Source’ : L’Opinion.fr