La France se montre de plus en plus impatiente devant l’influence grandissante de la Russie en Centrafrique, dénonçant des « initiatives opportunistes » dans ce pays et des « ambitions voilées » sur le continent africain.
« Tous les efforts internationaux sont bienvenus pour sécuriser la République centrafricaine (RCA) mais il faut que cela soit fait (…) dans le respect de la médiation de l’Union africaine », a lancé lundi la ministre française des Armées, Florence Parly, au Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique.
« Et toutes les autres initiatives qui sont des initiatives opportunistes et souvent intéressées ne me paraissent pas contribuer à résoudre de façon positive la situation sécuritaire dans ce pays », a-t-elle ajouté, dans une allusion à peine voilée à Moscou. « Toute manipulation intéressée de puissance opportuniste serait inepte, indigne ».
La Russie a investi tous azimuts dans cette ancienne colonie française, notamment dans la formation de l’armée et la diplomatie avec les groupes armés.
Depuis le début 2018, elle y a envoyé cinq officiers militaires et 170 instructeurs civils (des mercenaires, selon certains experts) et livré des armes à l’armée nationale après avoir obtenu une exemption à l’embargo de l’ONU.
Symbole de cette présence de plus en plus visible, des Russes assurent désormais la sécurité du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra. Parallèlement, une rhétorique antifrançaise s’est emparée des médias locaux.
« La France est toujours là »
Moscou a aussi engagé une médiation entre groupes armés, parallèle sinon concurrente de celle de l’Union africaine, avec une réunion fin août à Khartoum.
Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, avait déjà lancé un message de fermeté vendredi à Bangui en annonçant une aide de 24 millions d’euros et des livraisons d’armes à la RCA.
« La France a été présente aux moment difficiles (…) Certains de nos soldats ont payé de leur vie cette participation à la défense de l’intégrité centrafricaine et nous sommes toujours là », a-t-il souligné en référence à l’opération Sangaris (2013-2016) destinée à mettre un terme aux affrontements entre groupes armés.
Deux ans après la fin de Sangaris, la quasi-totalité du pays vit toujours sous la coupe de groupes armés, dans un pays de 4,5 millions d’habitants classé parmi les plus pauvres au monde mais riche en diamants, or et uranium.
Depuis l’arrivée des instructeurs russes, plusieurs entreprises gérées par des Russes ont d’ailleurs vu le jour à Bangui, notamment dans la recherche minière.
« Le seul sujet qui doit préoccuper ceux qui veulent s’occuper de Centrafrique, c’est (…) la sécurité de ce pays et son développement, et non pas utiliser potentiellement les difficultés de ce peuple et de ce pays pour s’implanter dans un continent où il y aurait des ambitions voilées », a ajouté le ministre français des Affaires étrangères.
« OPA hostile »
« Ceux qui ont d’autres pensées, ceux qui ont d’autres agendas devront en faire les frais », a-t-il averti.
Après une période d’observation un peu dubitative sur la montée en puissance de la Russie dans ce pays et son possible retour en force sur le continent africain comme au temps de l’URSS, Paris a changé de ton au sortir de l’été.
« Les Français sont passés à une rhétorique plus offensive parce que les Russes vont très vite là-bas », analyse Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Paris a d’abord voulu tourner la page de l’opération Sangaris, qui s’était avérée très lourde pour l’armée française, en passant le relais à la Mission de l’ONU en Centrafrique (Minusca, 13.000 Casques bleus). Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous.
« C’est la contradiction, d’une part on se désengage et de l’autre on n’est pas content quand quelqu’un vient s’engager. Il faut dire qu’avec les Russes, c’est plutôt une +OPA hostile+ », relève l’expert de l’Ifri.
« Paris le prend mal. Ce n’est pas qu’il veut continuer à gérer le dossier centrafricain. Il veut que cela soit géré par d’autres (Union européenne, UA, ONU…) dans une sorte de gestion déléguée et les Russes sabotent ce plan », souligne Thierry Vircoulon.
Avec AFP