La justice ivoirienne a émis un mandat d’arrêt international à l’encontre de l’ancien chef de la rébellion, aujourd’hui opposant politique.
Les faits | L’ex-Premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, a dénoncé mardi la volonté du pouvoir de l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle de 2020, après son retour avorté la veille à Abidjan et l’arrestation de ses partisans. Le chef de l’Etat ivoirien, Alassane Ouattara, se montre inflexible. Il a reçu mercredi à la présidence les anciens commandants rebelles, réputés fidèles à Soro dans une cérémonie destiné à afficher leur loyauté.
Guillaume Kigbafori Soro (GKS) a finalement pu retrouver un peu de chaleur, le soir de Noël, auprès de proches à Paris au terme d’un périple à rebondissements digne de la série « 24 heures chrono ». Le 23 décembre à 9h, son visage laisse poindre une certaine inquiétude lorsqu’il embarque à bord d’un avion privé au Bourget avec sa proche collaboratrice, Me Affoussy Bamba, et son aide de camp. Destination Abidjan, où il sait que les forces de l’ordre peuvent le cueillir à l’aéroport d’affaires.
Agé de 47 ans, l’opposant s’est préparé à ce scénario. Au moment de monter à bord, la sécurité ivoirienne est en train de verrouiller l’accès à sa résidence de Marcory. Plus tard dans la matinée, elle dispersera ses partisans qui se pressent à l’aéroport. Pourtant, les autorités ont donné les autorisations nécessaires. Et l’atterrissage est toujours prévu pour 14 h 30. L’hebdomadaire Jeune Afrique, qui a ses entrées au Palais présidentiel, révèle alors qu’un mandat d’arrêt a été émis à son encontre. Motifs : tentative de déstabilisation et détournement de deniers publics. L’ex patron de la rébellion est prévenu en plein vol de son arrestation imminente.
Vol dérouté. « À environ deux heures d’Abidjan, le commandant de bord affolé fait irruption dans notre cabine pour nous prévenir d’une alerte grave de sécurité sur l’aéroport d’Abidjan », a expliqué ultérieurement Guillaume Soro, sur son compte twitter.
En fait, les forces de l’ordre ont déployé d’importants moyens militaires, même si rien ne s’oppose à l’atterrissage. L’ex rebelle aspire à un autre accueil. Suivant les conseils de ses soutiens intérieurs, il décide finalement de mettre le cap sur Accra. De là, il rejoindra son pays par la route. Nouveau rebondissement : une fois sur place, les voyageurs sont cantonnés à bord. Alassane Ouattara, le président ivoirien, a appelé son homologue ghanéen : il ne veut pas de Soro à Abidjan. C’est le directeur de cabinet du chef de l’Etat ghanéen qui est chargé de transmettre le message. L’avion redecolle et se dirige vers Tenerife, aux Canaries, où il atterrira après 22 heures.
A Abidjan, le pouvoir a décidé de frapper fort. Il a investi dans l’après-midi le siège du parti de Soro et fait arrêter quinze de ses proches, dont son ami député, Alain Lobognon.
« Pendant le vol retour, des responsables du Togo et de Guinée équatoriale nous ont proposé d’accueillir notre chef, explique un proche de Soro. Mais il a préféré revenir en Europe car un exil africain l’obligeait à un devoir de réserve pour ne pas gêner son hôte». L’avion regagnera finalement le Bourget le lendemain soir après une nuit passée en Espagne.
Aujourd’hui, GKS se pose en victime d’un système politique violent. « Mr Ouattara veut faire un troisième mandat et se prévaut du soutien de la France », martèle t-il. Lui aussi a pourtant cherché l’appui de l’Elysée afin de revenir en Côte d’Ivoire à l’occasion de la visite officielle d’Emmanuel Macron, du 20 au 22 décembre. Il rêvait même de s’inviter à la cérémonie de Bouaké où le président français et son homologue ivoirien ont rendu hommage aux victimes du bombardement de novembre 2004.
A l’époque, cette ville hébergeait le quartier général des rebelles. Guillaume Soro et les comzones (commandants de la zone rebelle) régnaient alors militairement, administrativement et économiquement sur la partie septentrionale du pays. Un retour dans son fief de Bouaké, plus de douze ans après la cérémonie de réconciliation de la « flamme de la paix » entre le Nord et le Sud, l’aurait replacé au centre du jeu politique.
Trahison. Mais ni Paris ni Abidjan n’ont voulu voir polluer le voyage présidentiel par l’enfant terrible de la politique ivoirienne. Ils ont transmis le message à l’intéressé par différents canaux. Et GKS a fini par décaler d’une journée son retour. Déjà opposé à Ouattara, il n’a pas voulu ouvrir un autre front avec la France alors que son ami Alexandre Benalla a œuvré en coulisse pour son retour. Mais l’ex-chargé de mission élyséen a trouvé sur son chemin Franck Paris, le conseiller Afrique de Macron, qui a, de son côté, tout fait pour le différer. Pendant ce temps, les proches de Ouattara ont peaufiné le scénario de l’arrestation. « C’est aussi un message envoyé à Laurent Gbagbo, s’il tente de revenir à Abidjan pour faire de la politique à l’issue de son procès devant la CPI », souligne un fidèle de Ouattara.
Dans les prochaines semaines, Soro devrait poursuivre son combat depuis l’Europe, notamment via les réseaux sociaux. Une campagne qui pourrait être embarrassante pour l’Elysée, notamment en raison d’une forte diaspora ivoirienne. Mais Paris et Abidjan préparent la riposte. La justice ivoirienne compile les éléments permettant d’étayer son mandat d’arrêt international. Et Ouattara a réuni au palais, mercredi, les anciens comzones et Sidiki Konaté, ex-directeur de cabinet de Soro. Message explicite : « tes anciens alliés de la rébellion sont avec moi ».
« L’Elysée ne va pas se laisser pourrir la vie par l’opposition ivoirienne, prévient un visiteur régulier du château. Elle a aussi des cartes en main, comme le procès mené par la juge Kheris, pour séquestration de Michel Gbagbo (fils de l’ex président) lors de son arrestation par les rebelles, le 11 avril 2011 ».
A l’époque, Alassane Ouattara avait sorti Soro des griffes de la justice française qui souhaitait l’entendre. Les deux hommes étaient alors alliés politiquement. Aujourd’hui, ils s’accusent mutuellement de trahison. Ouattara affirme, en privé, détenir les preuves que Soro veut le renverser. Ce dernier estime quant à lui que le chef de l’Etat l’a roulé dans la farine après lui avoir promis le pouvoir. « Ouattara était en avance sur moi, a t-il récémment confié. Il m’a demandé d’intégrer les structures politiques et militaires de l’ex rébellion dans son parti et au sein de l’armée. Il avait compris que s’il voulait diriger pleinement, il ne pouvait y avoir deux capitaines dans le même bateau. »