Une conversation téléphonique non authentifiée, attribuée au président ivoirien et à l’ex-Premier ministre malien, agite la scène politique et judiciaire malienne. On y entend deux hommes échanger sur la position « intenable » du gouvernement de Bamako.
D’Abidjan à Bamako, un enregistrement audio de près de cinq minutes, dont il n’est pour l’heure pas possible d’affirmer l’authenticité, agite les cercles politiques. Il est présenté comme une conversation téléphonique entre le chef de l’État ivoirien, Alassane Ouattara, et le Malien Boubou Cissé, qui fut Premier ministre sous Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). L’échange aurait eu lieu peu avant le sommet de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) du 3 février.
Diffusé via la messagerie Whatsapp ce 11 février, l’audio laisse entendre deux hommes qui échangent sur les autorités maliennes de transition et la situation économique du pays. La discussion est d’abord chaleureuse, conformément à la relation d’amitié que l’on prête à Ouattara et Cissé, puis laisse place à une analyse sur la situation économique et politique malienne.
« Difficile de tenir »
« Malgré tout ce qu’ils veulent faire croire, la situation reste très difficile pour eux », commence une voix présentée comme celle de Boubou Cissé. « Eux », ce sont les actuels dirigeants du Mali, qui, selon l’ancien chef de gouvernement, seraient dans une situation intenable du fait de la pression financière, une allusion aux sanctions économiques prises par la Cedeao contre le Mali en janvier. « Ce sera extrêmement difficile de tenir encore trois quatre semaines financièrement, poursuit-il. La pression est réelle, les prix ont flambé, il est difficile aujourd’hui de se procurer du riz, du sucre, du ciment à un prix normal. »
« ILS SONT TOMBÉS SUR LA TÊTE »
« Ils font croire que tout va bien […] On voit qu’ils n’ont pas d’économistes parmi eux. Un pays dont 30 % ou 40 % du budget est financé par l’extérieur ne peut tenir qu’un ou deux mois. Après cela, ils ne pourront même plus payer les salaires », répond la seconde voix, supposée être celle d’Alassane Ouattara.
Sadio Camara, jugé jusqu’au-boutiste
Selon les deux hommes, le bras de fer engagé entre les autorités de la transition et la France permet de détourner l’attention de la situation financière grâce à un discours populiste. Ils évoquent également le renforcement du partenariat de Bamako avec la Russie, laquelle « n’a pas les moyens du Canada ou de la Corée », dit la voix prêtée à Alassane Ouattara, et de poursuivre « ce n’est pas la Russie qui va régler leurs problèmes ».
« Tombés sur la tête », « rattrapés par la réalité d’ici deux semaines environ »… Les deux hommes indexent en particulier l’actuel Premier ministre Choguel Maïga et le ministre de la Défense, le colonel Sadio Camara, jugé être le plus « jusqu’au-boutiste ».
Atteinte à la sûreté du Mali
L’affaire est loin d’être un fait divers. La justice malienne s’en est déjà saisie et a annoncé que l’enregistrement était en cours d’authentification. Dans la matinée de ce 11 février, le parquet de la commune IV de Bamako a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « atteinte ou tentative d’atteinte et complicités à la sûreté intérieure et extérieure du Mali », qui se base sur « une conversation téléphonique dont l’authenticité en cours de vérification entre deux hautes personnalités dont l’une est malienne », confirmant que l’enquête faisait bien suite à l’audio impliquant de façon présumée Boubou Cissé et Alassane Ouattara.
Contacté par Jeune Afrique, l’entourage de Boubou Cissé et le service de communication de la présidence ivoirienne se refusent pour l’instant à tout commentaire sur l’affaire. Ils n’ont pas souhaité confirmer ou réfuter l’authenticité de la conversation diffusée.
Avenir politique de Boubou Cissé
Arrêté par les putschistes lors du coup d’État du 20 août 2020, qui a entraîné la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta, Boubou Cissé avait ensuite été accusé d’avoir voulu renverser les autorités de transition aux côtés d’autres personnalités. Il était alors longtemps resté caché « en lieu sûr », avant d’être blanchi par la justice et de choisir l’exil. Depuis l’étranger, l’ancien Premier ministre se prépare à une candidature à la présidentielle lors du prochain scrutin malien dont la date n’est toujours pas connue. Mais Boubou Cissé pourrait bien voir ses ambitions fauchées par cette nouvelle affaire si la justice décidait de le poursuivre.
PARFOIS VU COMME UN PREMIER MINISTRE IMPOSÉ PAR LA FRANCE, BOUBOU CISSÉ EST AUJOURD’HUI ACCUSÉ D’ÊTRE UN « MALIEN, ENNEMI DU MALI »
Déjà, les réseaux sociaux donnent le ton de la perception de l’enregistrement par certains Maliens. Parfois vu comme un Premier ministre imposé par la France, il est aujourd’hui accusé d’être un « Malien, ennemi du Mali » et indexé pour sa « détermination à faire tomber coûte que coûte les autorités de Bamako ». « Pas de commentaire », se contente-t-on là encore d’opposer dans l’entourage de Boubou Cissé.