Treize militaires français ont trouvé la mort, lundi soir, au cours d’une opération contre des groupes ennemis
Les Faits – La ministre des Armées, Florence Parly, a annoncé mardi qu’elle se rendrait prochainement à Gao, au Mali, à la suite de la mort de treize militaires de l’opération Barkhane dans une collision accidentelle entre deux hélicoptères dans la région du Liptako. « L’heure n’est pas au questionnement sur le bien-fondé ou pas de l’opération Barkhane » a-t-elle ajouté.
La collision entre deux hélicoptères, lundi soir au Mali, au cours d’une opération de combat porte à 44 le nombre de militaires français tués au Sahel depuis le déclenchement des opérations en janvier 2013. Avec treize morts, ce dernier drame est l’un des plus meurtriers que l’armée a connu depuis des décennies. Il faut remonter à l’attentat contre l’immeuble Drakkar, à Beyrouth en 1983, pour trouver un bilan plus lourd, avec 58 morts. En 2008, l’attaque d’Uzbin en Afghanistan s’était soldée par dix militaires tués par les talibans. Deux récents accidents d’hélicoptères, l’un au Gabon en 2009, l’autre dans le Var en 2018, s’étaient soldés par respectivement neuf et cinq tués.
L’accident de lundi soir ne devrait pas avoir de conséquences politiques sur l’engagement militaire de la France au Sahel. Il en aurait été tout autrement si les treize militaires avaient été tués par les combattants ennemis, désignés comme « Groupes armés terroristes » (GAT). De vives polémiques auraient alors sans doute éclaté sur les conditions opérationnelles ou la politique de la France dans la région. Le crash des hélicoptères « selon toute vraisemblance par abordage », selon l’état-major des armées aura permis à la ministre des Armées, Florence Parly, d’assurer que « nous étions debout, unis et résilients ».
La collision a eu lieu, lundi 25 septembre à 19 h 38, dans la région du Liptako, une zone proche du Niger et du Burkina, sur la route entre Gao et Menaka, au sud d’In Delimane. Il faisait nuit noire ( « Nuit 5 », disent les militaires, la plus obscure), lorsque trois hélicoptères (deux hélicoptères de combat Tigre et un hélicoptère de « manœuvre », c’est-à-dire de transport, Cougar) sont arrivés à très basse altitude pour appuyer des troupes de Barkhane (Commandos parachutistes), engagées depuis trois jours dans la traque d’un « Groupe armé terroriste », vraisemblablement de l’Etat Islamique au Grand Sahara. Le Cougar était sur place depuis une demi-heure, quand les Tigre sont arrivés. Un Mirage 2000 semble avoir tiré une bombe GBU sur un groupe ennemi composé d’un pick-up et de plusieurs motos. Alors que les appareils se mettaient en place pour « préparer l’engagement de l’ennemi », l’un des Tigre et le Cougar se sont heurtés. On ignore les conditions exactes de la collision que l’enquête technique pourrait dévoiler. De nuit, les pilotes utilisent des jumelles de vision nocturne. Les deux appareils se sont écrasés à courte distance l’un de l’autre, et les troupes françaises au sol ont entendu le bruit de l’accident, sans rien voir, semble-t-il. Les équipages et les passagers ont tous été tués et leurs corps ont pu être récupérés, notamment par les forces spéciales de Sabre.
Dès l’annonce de leur décès, le Président les a qualifiés de « héros » dans un tweet. Sans doute peut-on s’interroger sur la surenchère dans le vocabulaire, désormais courante, lors de tels événements
L’équipage d’un hélicoptère Tigre est de deux hommes, alors que celui d’un Cougar (une version plus récente des vieux Puma) était de cinq hommes. Ils provenaient du 5e régiment d’hélicoptères de combat de Pau, une unité de l’armée de terre. A bord du Cougar, un groupe de six commandos de montagne (GCM) était embarqué, selon l’usage de l’opération Barkhane. Ces GCM sont issus de divers régiments de la brigade alpine (27e BIM) et volent régulièrement à bord des hélicoptères notamment pour des missions de « Personal Recovry », c’est-à-dire de récupération de personnels au sol. Les morts de lundi provenaient de trois régiments différents, de Gap (4e RCh), de Varces (93e RAM) et de Saint-Christol (2e REP).
« Mur des noms ». Parmi les victimes, on compte six officiers (les pilotes et les copilotes sont tous officiers), six sous-officiers et un caporal-chef. L’un des officiers, le lieutenant Pierre Bockel, est le fils du sénateur Jean-Marie Bockel, ancien ministre et ancien maire de Mulhouse. Leurs noms viennent s’ajouter à la liste des 549 militaires « morts pour la France » (dont deux femmes) depuis 1963 dans les opérations extérieures. Un monument en leur honneur et un « mur des noms » ont été inaugurés le 11 novembre dernier, à proximité du parc André-Citroën, à Paris.
Un hommage national sera organisé aux Invalides « dans les prochains jours » avec le chef des armées, Emmanuel Macron. Dès l’annonce de leur décès, le Président les a qualifiés de « héros » dans un tweet. Sans doute peut-on s’interroger sur la surenchère dans le vocabulaire, désormais courante, lors de tels événements. En quoi la mort d’hommes dans un accident, aussi dramatique soit-il, est-elle « héroïque » ? Faut-il comprendre que tous les militaires français seraient, par définition, des « héros » parce qu’ils se sont engagés « pour le succès des armes de la France », comme le dit la formule officielle ?
Cette inflation verbale témoigne de l’énorme distance que la société française entretient — fort heureusement d’ailleurs — avec la culture de guerre. Il n’en reste pas moins indispensable, comme le réclament des officiers en retraite, de débattre de l’efficacité stratégique de l’engagement militaire de la France au Sahel, alors que 44 jeunes Français y sont déjà morts et plus encore (le chiffre n’est pas public) en sont revenus blessés, parfois handicapés ou traumatisés à vie.