Son arrestation pour son rôle dans la création du Conseil national de Transition, le président du FPI, Pascal Affi N’Guessan, a changé de statut. Celui qui a rejoint l’appel à la « désobéissance civile » d’Henri Konan Bédié est devenu une figure de l’opposition.
La vidéo est filmée en plan serré. Les traits sont tirés, le regard un peu hagard. Il ne porte pas ses habituelles lunettes, mais est vêtu du même polo noir que lors de sa dernière apparition publique, il y a quelques jours, en tant que porte-parole du Conseil national de transition (CNT).
« Nous sommes le dimanche 8 novembre 2020. Je ne suis pas décédé. Je me porte bien. Je n’ai pas été torturé […]. Je voudrais vraiment rassurer mon épouse et mes enfants. » Rire contraint face aux relances d’un interlocuteur qui lui souffle ses réponses. Pascal Affi N’Guessan se plie, sans doute sans en avoir vraiment le choix, à cette mise en scène sommaire.
Tournée à la hâte dans un bureau de la Direction de la surveillance du territoire (DST) à Abidjan, cette vidéo surprenante fait office de « preuve de vie » de l’ex-Premier ministre. Immédiatement relayée sur les réseaux sociaux ivoiriens, elle a pour but d’éteindre la rumeur de son décès, qui enflait depuis le début de la journée sur les bords de la lagune Ebrié.
Trente-six heures plus tôt, vendredi soir, le président du Front populaire ivoirien (FPI) légalement reconnu avait été arrêté à bord d’un véhicule à Akoupé, alors qu’il faisait route vers sa ville natale de Bongouanou, dans le Moronou. La fin de plusieurs jours dans la clandestinité durant lesquels personne, à part son premier cercle, ne savait où il se trouvait.
Pascal Affi N’Guessan, 67 ans, avait disparu le mardi après-midi, alors que les forces de l’ordre venaient d’arrêter une vingtaine de proches d’Henri Konan Bédié et d’encercler la résidence de ce dernier à Cocody. Au même moment, le même dispositif sécuritaire était installé autour de la villa d’Affi N’Guessan, dans le quartier de La Riviera, et de celles d’autres dirigeants du CNT, dont Albert Mabri Toikeusse, dont on est également sans nouvelles.
Absent quand la gendarmerie est arrivée devant son domicile, situé à un jet de pierre de celui du Premier ministre, Hamed Bakayoko, Affi N’Guessan avait décidé de ne pas rentrer chez lui. Il avait prévenu sa femme Angeline, restée à la maison, avait coupé son téléphone et s’était mis à l’abri. Selon son entourage, il n’a jamais « cherché à fuir » à l’étranger, notamment au Ghana voisin, ni même essayé de se réfugier à l’ambassade d’Afrique du Sud, comme certains l’ont laissé entendre.
D’après Richard Adou, le procureur de la République, le porte-parole du CNT était « activement recherché » par les autorités. Comme les autres dirigeants de cette structure parallèle mise en place par l’opposition après l’annonce de la réélection d’Alassane Ouattara pour un troisième mandat, il est accusé d’avoir commis un acte de sédition « constitutif d’attentat et de complot contre l’autorité de l’État et l’intégrité du territoire national ». Selon nos informations, il a été présenté ce lundi à un juge de la cellule spéciale d’enquête pour se voir signifier les charges retenues contre lui et a été incarcéré dans la foulée.
Difficile d’imaginer, il y a encore quelques mois, que Pascal Affi N’Guessan finirait ainsi sa campagne pour la présidentielle. Après l’échec de sa tentative de rapprochement avec Laurent Gbagbo et ses fidèles (les fameux « GOR » – « Gbagbo ou rien ») initiée au début de l’année, il avait décidé de présenter sa candidature. Beaucoup – à commencer par ses adversaires du FPI pro-Gbagbo – l’accusaient alors d’être de mèche avec le pouvoir, l’accusant volontiers d’être l’ « opposant utile » du régime.
Mi-septembre, Affi N’Guessan fait partie des quatre candidats dont les dossiers de candidature ont été retenus par le Conseil constitutionnel. Mais quand, le 18, Bédié et les principales forces de l’opposition appellent les Ivoiriens à la désobéissance civile face à la « forfaiture de Ouattara », lui seul manque à l’appel. Après de multiples tractations, et notamment grâce à l’intervention auprès de Gbagbo de ceux qui plaident pour l’unité de l’opposition face à Ouattara, le candidat du FPI rallie finalement l’appel à la désobéissance civile la semaine suivante.
« Il a été beaucoup critiqué mais il a toujours été d’une grande cohérence, affirme sa communicante française, Geneviève Goëtzinger. Depuis le début, il est légaliste. Il d’abord essayé de jouer le jeu des institutions, en tentant d’obtenir la réforme de la Commission électorale indépendante [CEI]. Puis, quand le Conseil constitutionnel a dévoilé la liste des candidats, il a compris que Ouattara ne laisserait aucune chance à ses adversaires. Il a donc rallié l’appel de l’opposition à la désobéissance civile, mais là encore dans une logique légaliste, afin de défendre la Constitution. »
Au fil des jours, Pascal Affi N’Guessan prend de l’épaisseur au sein du front d’opposition à Alassane Ouattara. Aux côtés de son allié et aîné, Henri Konan Bédié, il affiche, à longueur d’interviews et de conférences de presse, sa détermination à faire barrage au troisième mandat.
Après l’annonce de la réélection de Ouattara avec plus de 94 % des voix, le CNT est créé. L’objectif ? Instaurer une transition qui organisera de nouvelles élections « libres, inclusives et transparentes ». Les deux opposants qui ont refusé de prendre part à la présidentielle du 31 octobre et appelé leurs compatriotes au « boycott actif » se répartissent les rôles : Bédié en sera le président, Affi N’Guessan le porte-parole. « Il ne pouvait en être autrement. Cette position particulière lui revenait car sa candidature avait été retenue, mais il a quand même décidé de défendre nos institutions républicaines », estime un cadre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).
Durant ces quelques jours, dans son nouveau costume de porte-parole officiel du CNT, l’ancien Premier ministre continue à attaquer Alassane Ouattara et à dénoncer sa réélection. « Il a montré un engagement sans faille dans notre combat et a affiché une vraie prestance dans son rôle de porte-parole. Il a toute sa place au sein du front d’opposition », affirme l’un de ses soutiens.
Cela suffira-t-il pour aplanir enfin ses vieux différends avec les pro-Gbagbo et réunir les deux ailes du FPI ? Avec l’ex-président, qui réside à Bruxelles en attendant le verdict en appel de la Cour pénale internationale (CPI), les rapports se sont pacifiés. Ces dernières semaines, les deux hommes avaient échangé plusieurs fois au téléphone. Désormais en prison, comme son mentor avant lui, Pascal Affi N’Guessan pourrait en ressortir auréolé du statut d’opposant ayant, lui aussi, payé de sa personne son engagement politique.
Source :Jeune Afrique
Le titre est de la rédaction.