Depuis septembre, le chef de l’Etat est partout. Il coupe les cordons, inaugure les grands travaux et multiplie les belles annonces.
Le stade olympique d’Ebimpé flambant neuf est plein à craquer. Ce samedi 3 octobre, à Abidjan, ils sont 60 000 à être venus assister à l’inauguration de l’un des plus grands stades d’Afrique, futur lieu phare de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2023. Au programme, officiellement, une cérémonie festive en compagnie du président Alassane Dramane Ouattara (surnommé « ADO ») et un match de foot entre l’Asec Mimosas et l’Africa Sport, le derby de la capitale économique ivoirienne.
Dans les faits, l’événement a surtout permis au chef de l’Etat, candidat à sa succession lors de l’élection présidentielle du 31 octobre, de s’offrir un tour de stade et un meeting non annoncé en enfilant sa casquette préférée : celle du grand bâtisseur.
Devant une foule chauffée à blanc, l’occasion était trop belle pour ne pas en profiter. Ce « joyau architectural » a fourni « des milliers d’emplois », s’est félicité le président candidat. Plus précisément, cet ouvrage, construit et largement financé par la Chine, a fait travailler 2 000 ouvriers ivoiriens et 600 chinois.
« Nous allons continuer de vous donner des emplois par milliers et par milliers », a-t-il poursuivi, avant de parler de lui à la troisième personne : « Ce que ADO dit, ADO fait ». Le stade porte même désormais son nom « à la demande des autorités chinoises et de la chefferie d’Anyama », la ville du nord d’Abidjan qui a cédé ses terres à l’Etat, assure l’un de ses proches collaborateurs.
Omniprésent
« On nous a invités et nous n’avons rien payé », sourit malicieusement Joël Tohouri, chef traditionnel d’Anyama. Les tribunes débordent de la ferveur des militants, conviés en nombre pour applaudir le président. « A l’approche d’une échéance électorale, tout ce que vous pouvez présenter et qui peut bonifier votre action, vous le faites », assume un communicant. Une fois le président reparti, l’enceinte se vide aussitôt, alors même que le match commence…
C’est peu dire que le président ivoirien joue à fond la carte de la précampagne. Depuis le 15 septembre et la validation par le Conseil constitutionnel de sa candidature controversée à un troisième mandat, « ADO » est omniprésent. Les images du chef de l’Etat en tournée dans les régions du pays ou à Abidjan rythment les journaux télévisés des chaînes publiques et privées nationales. Flanqué d’une kyrielle de ministres et de membres de son parti à chaque déplacement, Alassane Ouattara se montre tout sourire en train d’électrifier des villages, de bitumer de nouvelles voies ou de lancer des grands travaux.
Si la campagne ne démarre officiellement que le 15 octobre, plus un jour ne passe sans que les Ivoiriens voient ou entendent leur président s’adresser à eux. Jusque dans les plantations du pays où deux immenses usines de transformation de cacao viennent d’être inaugurées, tandis que se répand à toute vitesse la nouvelle d’une augmentation « historique » de 21 % du prix des fèves au kilo (1 000 francs CFA contre 825 francs CFA).
Rendue possible par un accord obtenu en 2019 par la Côte d’Ivoire et le Ghana auprès des géants chocolatiers mondiaux, cette annonce n’a rien d’anodin dans un pays où près d’un habitant sur cinq dépend de l’or brun, selon la Banque mondiale. Mais le timing interpelle. Un tel seuil n’avait été atteint sous sa présidence qu’en 2015 (1 000 francs CFA), un mois avant la dernière présidentielle, et fut même dépassé en 2016 (1 100 francs CFA), année du référendum constitutionnel.
Un espace médiatique saturé
Les ministres enchaînent les bonnes annonces économiques à la fin d’une année bien morose : accélération des décaissements du fonds de soutien aux PME, budget 2021 prévisionnel en hausse de 7 %. « C’est de bonne guerre, nous avons fait pareil en notre temps, sourit un proche de l’opposant et candidat Pascal Affi N’Guessan, premier ministre sous Laurent Gbagbo. On s’était d’ailleurs inspiré de ce qu’avait fait [l’ancien président Henri Konan] Bédié avant nous : mettre toute la machine de l’Etat au service de la campagne. »
Mais si le président ivoirien sature l’espace médiatique, c’est également dans l’espoir de déplacer le curseur des débats politiques, jusque-là figés sur sa volonté de rempiler pour un troisième mandat. Une démarche qualifiée de « forfaiture » par son principal rival, M. Bédié.
Ce dernier a lancé un appel, le 20 septembre, à la « désobéissance civile », un concept aux contours flous et jusqu’ici peu suivi d’effets. D’ailleurs, si le président Ouattara est déjà en campagne, l’opposition, elle, paraît plus effacée. « Trop occupée à définir une stratégie commune entre ses grandes figures, elle laisse le champ libre au président pour battre campagne sans contradicteurs », observe l’analyste politique Sylvain N’Guessan.
L’opposition, qui bénéficiera dès le 15 octobre du même temps de parole médiatique que le président, prévoit de rentrer de plain-pied dans cette campagne qui ne dit pas son nom à l’occasion de son « giga-meeting » prévu samedi 10 octobre. Elle aussi avant l’heure donc.
Source : Le Monde