« Les entreprises de téléphonie mobile et leurs sociétés de micro-assurance doivent se mobiliser pour faciliter la distribution quotidienne d’aides financières »
L’épidémie croissante de Covid-19 gagne l’Afrique, associée à des prévisions alarmantes. Alors que la plus grande partie du continent ne peut pas compter sur des tests massifs, pays après pays, l’Afrique s’est dirigé vers le confinement. Le «sommet virtuel du G20» – dont les dirigeants ont décidé une relance économique mondiale de 5 000 milliards de dollars – a notamment soutenu une proposition spécifique de relance économique et d’allégement de la dette pour aider les pays africains à lutter contre la pandémie.
Le vrai problème est cependant de toucher les populations sans délai, sans les exposer : dans des économies majoritairement informelles, la plupart des familles doivent quotidiennement chercher une nouvelle source de revenus. Un confinement total en absence d’un filet de sécurité quotidien et circuits formels pour relayer l’aide direct et signifierait un arrêt économique complet. La distribution d’argent en espèces nécessiterait de briser le confinement, mettant ainsi les familles en danger. L’Afrique a toutefois un avantage : ses services bancaires mobiles. Leur utilisation massive pour effectuer des versements directs est la solution.
Les entreprises de téléphonie mobile et leurs sociétés de micro-assurance doivent se mobiliser, pour faciliter la distribution quotidienne aux populations des fonds collectés, avec deux objectifs: prévenir les dommages créés par le confinement, et donner accès à des moyens curatifs lorsque la maladie atteindra son pic.
Propositions. Nous proposons trois actions immédiates et interconnectées :
– Il faut promouvoir un enfermement partiel mais actif. Dans la plupart des villes africaines, typiques autour d’une « cour carrée » ou « concession », les familles élargies forment des ménages de grande taille. Il faut permettre à la majorité de la famille de s’enfermer, tandis qu’un nombre très restreint de personnes seraient responsables de l’approvisionnement et de la recherche d’un revenu quotidien. Il faut surtout compenser la perte de revenu pour les autres. Pour cela, nous suggérons d’utiliser la micro-finance et notamment les transferts par téléphonie mobile, en tirant parti de la position avancée de ces entreprises dans la région, en effectuant des transferts monétaires quotidiens ainsi qu’en généralisant et universalisant la micro-assurance.
– Il faut impliquer tous les grands opérateurs de télécommunications (par exemple, en Afrique de l’Ouest: Orange, MTN, Vodacom, Airtel, Itissalat) à s’engager pour des transferts gratuits d’une allocation monétaire quotidienne, crédités par les fonds de secours Covid-19 qui se mettent en place. Incluons l’effet de levier des transferts de la diaspora, en réduisant les frais internationaux au niveau du meilleur acteur (la gratuité directe entraînerait une distorsion de concurrence de facto des opérateurs historiques vis-à-vis des startups; l’argent nominal collecté peut en revanche ensuite être reversé aux fonds de secours).
Ces mesures sont impactantes et accessibles: elles émulent les programmes de réduction de la pauvreté déjà testés dans certaines régions du Sud. Dans ce cas, elles empêcheraient les personnes confinées de tomber dans des trappes de pauvreté. L’identification des bénéficiaires est la tâche ardue des programmes normaux de réduction de la pauvreté par transferts directs; dans ce cas de crise, ils peuvent être universels et les aides être envoyées à chaque numéro de téléphone, assurant un confinement important et donc la prévention contre le Covid-19.
– En complément, pour traiter les infections potentielles, les compagnies mobiles pourraient associer dès maintenant à chaque ménage un compte d’épargne mobile et le connecter aux sociétés de micro-assurance avec lesquelles elles sont déjà associées. Initialement doté d’un capital de départ et augmenté d’un abondement du même niveau que celui économisé par un ménage (également prélevé sur le fonds public de secours dédié et plafonné à un niveau donné), ce compte permettrait l’activation automatique d’une assurance en cas de symptômes, pour payer les factures du médecin ou de pharmacie. Dans une telle épidémie, le surcoût macroéconomique ultime pour les sociétés de micro-assurance serait garanti par le fonds de secours.
Résilience. De plus, les pratiques sociales et confessionnelles de nombreuses régions d’Afrique mobilisent en permanence des dons : les services bancaires mobiles peuvent également fonctionner dans l’autre sens et permettre à chacun de faire de petits dons, de manière à abonder le fonds, la philanthropie populaire mobile remplaçant ainsi les circuits de solidarité traditionnels, perturbés par temps de confinement.
L’épidémie de Covid-19 montre déjà un visage nouveau de l’Afrique: sa résilience durement gagnée – tirée de décennies de contraintes imposées – mais aussi ses capacités d’autofinancement dans un contexte de croissance africaine tangible. En amont de l’argent du G20, plusieurs pays ont déjà établi leurs propres fonds d’appui économiques, abondés par des dons nationaux d’État ou philanthropiques. L’enjeu immédiat est de mobiliser rapidement les opérateurs de téléphonie mobile pour distribuer ces fonds de secours électroniquement, et ainsi garantir que les gens puissent rester confinés sans mettre en danger leur survie.
Signataires :
Hakima el Haite, Ancienne ministre déléguée de l’Environnement du Maroc, Présidente de l’Internationale Libérale
Gilbert Noël Ouedraogo, Ancien Vice-Président de l’Assemblée Nationale du Burkina Faso, Président du Réseau Libéral Africain
Joël Ruet, Economiste au CNRS, Président de The Bridge Tank
Ibrahima Guimba Saidou, Ministre conseiller Spécial à la Présidence du Niger
Hamed Diame Semega, Ancien ministre de l’Equipement et des Transports du Mali