L’Afrique au défi de la santé infantile. A l’unité de soins « mère kangourou » du CHU de Treichville à Abidjan, les mamans sont incitées à nourrir leur bébé uniquement au sein.
Trois prénoms assez fort pour faire fuir la mort. Quand Lord Miracle Stella est née le 9 octobre après seulement six mois et demi de grossesse, elle ne pesait que 800 grammes. D’une fragilité extrême, la petite fille a « enchaîné les complications », comme le résume pudiquement Josée Don, sa jeune maman. Mais, désormais, la mort ne rôde plus autour du bébé et la petite a adopté une courbe de croissance qui fait oublier sa naissance à hauts risques.
Parmi les « remèdes », Josée Don s’est pliée à une règle assez contrintuitive en ne donnant jamais d’eau à son bébé. « Elle ne boit que mon lait maternel… Et ça marche. Elle a déjà pris un kilo », observe la maman, bébé au sein. Cette professeure de mathématiques désormais mère de trois enfants ne regrette pas de s’être laissée convaincre par la théorie du « 100 % allaitement maternel et rien d’autre », défendue à l’unité de soins « mère kangourou » du CHU de Treichville à Abidjan.
A priori, en Côte d’Ivoire, tous les bébés semblent nourris au sein. Dans les transports, les lieux publics et même au travail, les mères les portent contre elles et leur donnent volontiers le sein. « Si 90 % des mamans allaitent, bien peu pratiquent l’allaitement exclusif », souligne Awa Yao Diallo, présidente des sages-femmes ivoiriennes, farouche militante de l’allaitement exclusif.
« Une règle de base pour toutes les mamans »
« En fait, les mères ont tendance à vouloir désaltérer le bébé, lui donner quelques gouttes d’eau quand elles-mêmes ont soif ou des tisanes pour soulager et donner des forces. Mais ce n’est pas ce dont l’enfant a besoin », précise-t-elle à chaque occasion. « Le lait maternel exclusif devrait être une règle de base pour toutes les mamans », ajoute Blandine Alali, infirmière à l’unité du CHU depuis quelques mois. Pourtant, en Afrique de l’Ouest et du centre, seuls trois nourrissons de moins de six mois sur dix en bénéficient.
Ces mauvaises pratiques contribuent évidemment à la malnutrition. Elles sont vecteurs de maladies comme les diarrhées ou les infections respiratoires et accentuent le risque de décès, jusqu’à trois fois plus élevé que parmi les bébés nourris exclusivement au sein. « Malgré une croissance économique positive en Afrique de l’Ouest et du centre, le nombre d’enfants de moins de 5 ans qui présentent un retard de croissance est passé de 23 à 29 millions entre 2000 et 2018. Et la région abrite environ 4,9 millions d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère », note l’Unicef. L’objectif de l’agence onusienne est que 70 % des bébés soient nourris exclusivement au lait maternel en 2025, contre 50 % aujourd’hui.
Mi-novembre à Abidjan, parallèlement à cette campagne régionale en Afrique de l’Ouest et du centre (Unicef, Banque africaine de développement, Alive and Thrive), l’Etat ivoirien a aussi lancé une caravane de sensibilisation qui va circuler dans tout le pays durant plusieurs mois, pour rappeler ou apprendre aux Ivoiriens cette pratique exclusive, que trop peu pratiquent.
« Je me suis engagée pour témoigner »
« A l’heure actuelle, même les médecins ne sont pas toujours convaincus », s’insurge Noël Zagré, conseiller régional en nutrition pour l’Unicef. « Certains estiment encore qu’avec ce climat, il faut donner de l’eau aux bébés, oubliant que le lait en contient 88 % et que l’estomac du nourrisson est gros comme un grain de raisin », déplore le praticien.
Pour lui, les problèmes sont multiples, allant de « l’eau qui peut-être contaminée », au fait que « le bébé arrête de téter. Et moins il tète, moins sa mère produit de lait ». Sans compter que l’allaitement accélère la récupération après l’accouchement, retarde le retour des règles, ce qui permet d’espacer les naissances et de réduire le risque de cancer du sein et du col de l’utérus.
Clémentine Djollo l’a éprouvé avant de faire de ce sujet l’un des grands combats de sa vie. Cette couturière de 61 ans, mère de cinq enfants, a donné du lait en poudre et de l’eau à ses premiers lorsqu’ils avaient soif. « Ils sont beaucoup tombés malades et m’ont épuisée », se souvient celle qui, en 1993, décide de suivre les recommandations sanitaires de l’Unicef. « Je n’ai rien donné d’autre que mon sein à mon quatrième enfant. Et avec lui, je n’ai eu aucun problème de santé, il s’est toujours très bien porté. Quand j’ai vu la différence, je me suis engagée et suis passée dans les salles d’accouchements, les hôpitaux pour témoigner » que non seulement le lait maternel apporte tous les nutriments dont le nourrisson a besoin mais, en plus, il transmet à l’enfant les anticorps de la mère.