Cet opposant congolais incarcéré à Brazzaville pour atteinte à la sûreté de l’Etat devrait être rapatrié dans un hôpital turc pour y subir une série de soins alors que sa santé se détériore.
Le plus célèbre des prisonniers congolais, le général Jean-Marie Michel Mokoko, devrait être évacué prochainement vers la Turquie. Selon plusieurs sources proches de sa famille, l’ancien candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2016, condamné à vingt ans de réclusion pour atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat, devait être transféré à bord d’un avion, dans la nuit de mardi à mercredi, vers la Turquie. L’Etat de santé de cet ancien chef d’État-major de l’armée congolaise s’est passablement dégradé ces dernières semaines.
« Souffrant d’hypertension et d’arythmie cardiaque, le prisonnier a déclaré récemment un paludisme après une suspicion de Covid-19, a confirmé à l’Opinion l’un de ses avocats. Il a fait deux syncopes ces dernières semaines et a été transporté à l’hôpital militaire de Brazzaville, où il demeurait toujours mardi dans la journée. » Son départ pourrait dorénavant avoir lieu dans la nuit de mercredi à jeudi. C’est du moins ce que laisse entendre un de ses avocats français sur Twitter, Me Norbert Tricaud.
Ce départ serait imminent si l’on en croit Les Dépêches de Brazzaville, journal proche du pouvoir qui soulignait, mercredi, « le geste très humain, très fraternel, que le président de la République (NDLR : Denis Sassou Nguesso) a fait ces dernières heures en autorisant son évacuation vers l’étranger ». Le même journal annonce que le prisonnier devrait se rendre en Turquie. D’autres sources avancent qu’il pourrait être soigné à l’hôpital universitaire d’Ankara. Ses avocats ont récemment saisi le juge d’application des peines et le ministre de la Justice d’une demande de mise en liberté conditionnelle à des fins sanitaires. « Nous avons demandé qu’il soit évacué et accompagné d’une personne de sa famille et de son médecin personnel », ajoute l’avocat.
Audience. La famille du détenu a été reçue en audience par le président Denis Sassou Nguesso, le lundi 27 juillet. Celle-ci se bat pour que leur proche soit évacué rapidement. Une note du Quai d’Orsay a récemment aussi été envoyée en ce sens aux autorités congolaises. Lors de la visite du président congolais en France, en septembre dernier, Jean-Yves Le Drian avait personnellement demandé la clémence de Denis Sassou Nguesso pour ce célèbre prisonnier sorti de l’école militaire de Saint-Cyr.
Le cas Mokoko est géré directement par le président congolais qui en fait une affaire personnelle. Depuis 2016, il attend que le condamné reconnaisse publiquement sa défaite à la présidentielle.
« Le président congolais négocie depuis le départ sa sortie de prison contre sa rédemption, explique un diplomate étranger. Mais cette vieille méthode connaît de plus en plus ses limites en Afrique sous le poids des sociétés civiles, des ONG droits de l’hommiste internationale et des interventions des diplomaties étrangères ».
Ces derniers jours, les médias locaux ont relayé des confidences diplomatiques attestant d’entretiens téléphoniques entre Denis Sassou Nguesso et son homologue de Kinshasa, Félix Tshisekedi, concernant l’évacuation de Mokoko. La famille du prisonnier et celle du président de RDC voisine sont proches. Félix Tshisekedi est venu en personne à Brazzaville, le 15 juillet, pour convaincre le président congolais de faire un geste humanitaire. Une demande également relayée par un autre dirigeant de la région, l’Angolais Joao Lourenço. Les Européens et les Américains se servent régulièrement des dirigeants de ces pays pour faire passer des messages, souvent à caractère politique ou humanitaire.
Evacuation. La famille de Mokoko a privilégié, dans un premier temps, une évacuation vers le Maroc ou la France. D’autres pays ont ensuite été avancés comme le Kenya et l’Angola. « Le président Sassou Nguesso privilégie la Turquie car il sait qu’il n’y aura pas de buzz médiatique et que le pays lui renverra son prisonnier à l’issue de sa période de convalescence qui pourrait durer trois semaines », explique fin connaisseur du dossier.
En choisissant la Turquie, le président congolais fait aussi un joli pied de nez à la France. Cela prouve l’influence grandissante de Recep Tayyip Erdogan en Afrique, dont la politique continentale est présentée comme une alternative à celle de l’ancienne puissance coloniale. L’homme fort d’Ankara joue les alliés de toutes les circonstances, prônant la fidélité de la parole donnée. Il développe une diplomatie sécuritaire et sanitaire du Nord à la Corne de l’Afrique et a renforcé son influence économique et culturelle dans les pays du précarré francophone. La Turquie a envoyé du matériel de tests et de soins dans 64 pays depuis le début de la pandémie, dont beaucoup sur le continent, et promeut un tourisme médical dans son pays. Il joue dorénavant sur un autre registre sanitaire : l’aide aux dirigeants africains craignant que leurs opposants décèdent en prison.