Nos états sont très jeunes. De même que nos démocraties. Le constat commun qui se dégage est que nous sommes, toujours, en phase d’apprentissage. Et encore à la peine, là où nous aurions, après quelques décennies de pratique, fait des bonds prodigieux. Mais cette jeunesse ne devrait pas nous priver de nourrir de grandes ambitions pour nos états et aussi mettre en œuvre des mécanismes qui renforcent notre jeune démocratie. Au regard de notre diversité et des avantages en terme de liberté d’expression et de prise en compte des citoyens dans le choix de leurs dirigeants, la démocratie est le meilleur choix que nous avons fait en tant que peuple. En ce sens qu’elle permet de fédérer intelligemment et harmonieusement nos particularismes.
La démocratie nous offre des cadres d’affirmation de notre socialisation. Il nous apparait, donc, important que chaque citoyen ou groupe de citoyens saisisse tout le sens et toute la quintessence de cette offre pour donner une chance à la démocratie de se pratiquer, convenablement. La démocratie ayant par-dessus tout, une fonction régulatrice de la société et de l’espace de vie d’un peuple donné, elle nécessite pour son ancrage dans les cœurs et esprits de l’implication de tous. Sinon que peut bien valoir la démocratie lorsque les citoyens-électeurs et les institutions de la République sont influençables et manipulables ? Qui sont réellement les Hommes à la tête de nos institutions ? Le mécanisme juridique de sélection des candidats aux différentes élections, est-il pertinent ? Le processus de démocratisation de notre pays ne peut se faire sans des remises en cause et des réformes.
Ces réformes doivent prendre en compte deux axes fondamentaux : le premier est l’instauration d’une culture démocratique populaire et le second est le renforcement des cadres institutionnels et juridiques, déjà existants. Sur le premier point, les années passent, les régimes se succèdent mais la pratique est la même. Elle consiste à détourner le grand nombre de la lumière que procurent les principes démocratiques. La Constitution qui est la loi fondamentale est rédigée sans l’avis du peuple. De sorte qu’elle lui est méconnue, une fois en vigueur. Les institutions de la République censées mettre en œuvre la démocratie sont introverties et hermétiques à leurs propres concitoyens. Que d’être à la fois interdépendantes et indépendantes, elles sont plombées et inhibées par le pouvoir présidentialiste trop marqué qui frise, bien de fois, l’autocratie. Dès lors, aucun lien n’existe entre les populations et les institutions qui doivent œuvrer à leur bien –être. Condamnés à bâtir des Etats démocratiques, il nous faut, après plusieurs démarches prospectives agir, maintenant.
De façon concrète, nous devons enseigner la démocratie à nos enfants dès le Cours Moyen afin qu’ils puissent grandir avec les valeurs démocratiques. L’émergence d’une génération nourrie par des valeurs démocratiques est le gage d’une rupture réelle. Non seulement, elle permettra l’épuration naturelle de cette race de dirigeants antidémocratiques, mais elle donnera aussi de voir, au quotidien, une nation où gouvernants et populations bien imprégnés des règles démocratiques sont les gendarmes les uns des autres. Cela se fait sous d’autres cieux et nous avons toutes les facultés de le réaliser. Il nous faut aller juste au-delà des pratiques standards. Outre le droit de vote pour tous, combien d’entre nous se sont déjà demandés qu’elle est l’entièreté des droits qu’offre la démocratie ? Combien se questionnent sur leurs devoirs dans un pays démocratique ? Nous n’avons qu’une connaissance très limitée de la démocratie. Nous devons travailler à changer cette donne. Il faut créer un nouveau paradigme. Il faut que nos concitoyens apprennent et découvrent réellement les implications de la démocratie. Sans cette culture démocratique, nous continuerons à nous entretuer pour des individus antidémocratiques. Des personnes qui se servent de l’ignorance des peuples pour se hisser au pouvoir et les invitent à s’entretuer pour y rester.
Tant que le peuple n’est pas conscient de la place qu’il occupe dans une démocratie, il souffrira de son ignorance. En tant que mandataire du peuple, les dirigeants dans un pays démocratique doivent travailler à son bien-être. Et si cela n’est pas le cas, le peuple a le droit de sanctionner soit par les urnes soit au travers des organisations de la société civile qui ont la responsabilité de critiquer l’action politique et de faire des propositions constructives. Concernant les cadres institutionnels et juridiques, nous devons travailler à instaurer des institutions fortes. Pour l’instant, et c’est un truisme de le dire, nos institutions, majoritairement, n’existent que de nom. Elles sont budgétivores, improductives, inopérantes et portent, parfois, en elles-mêmes les germes des conflits et du chaos. Malgré les multiples aides au développement que reçoivent les pays africains, nous sommes toujours à la traîne. Si les compétences ne manquent pas en Afrique, il faut donc pointer du doigt la qualité de nos institutions et la moralité de nos dirigeants.
Nos jeunes démocraties ont donc besoin de leaders capables de consolider les acquis et renforcer la qualité de nos institutions. En un mot, en faire des institutions fortes. Sur ce point, nos concitoyens ont, toujours, un grand rôle à jouer. Il leur faut, d’abord, prendre conscience des enjeux de la démocratie. Ensuite, en amont, se donner les moyens de prendre effectivement part à tous les niveaux de débats. Cela évitera des constitutions taillées sur mesure, des institutions bancales et dépendantes .Mais aussi de subir le diktat de dirigeants qui ne portent aucune valeur compatible avec la démocratie. Le temps est propice pour que nos Etats se dotent de président qui préfère se laisser façonner par les principes démocratiques et qui adore le jeu démocratique. Mais un tel leader avec une bonne moralité et une vision altruiste ne viendra pas de la planète Mars. C’est l’un d’entre nous que nous choisirons pour conduire cette vision nouvelle. Pour ce faire, nous devons réexaminer les critères de sélection de nos candidats et créer une structure nationale indépendante d’enquête qui sera chargée d’enquêter sur le passé du candidat, sur sa fortune, ses compétences, ses qualités humaines, etc. Ces informations doivent être publiées et mises à disposition des électeurs afin qu’ils fassent le choix le plus objectif possible. Tout étant dynamique en démocratie, il nous faut, juste, nous entendre sur des principes simples, clairs et efficaces qui mettent le citoyen comme moteur et pilier de la marche de la nation. Et non l’inverse. Les députés ont un rôle essentiel à jouer dans la transparence. Ils doivent voter des lois qui contraignent les différentes structures gouvernementales à justifier les dépenses des fonds publiques. S’ils sont reconnus coupables de mauvaises gestions, ils devront répondre de leurs actes devant les tribunaux et non seulement s’échapper en démissionnant de leurs postes.
Notre système législatif doit renforcer le contrôle de l’action gouvernementale. À défaut d’avoir le leader parfait, nous aurons un leader avec les qualités humaines souhaitées et les compétences requises, à la tête d’institutions fortes, capables de lui faire obstacle toutefois qu’il prendra des décisions allant contre les intérêts du peuple. L’indépendance et la légitimité desdites institutions s’en trouveront renforcées. C’est cela aussi la vitalité de la République. Celle qui se dote de règles, qui met sur le même pied ses enfants, sait les embrasser quand ils sont méritants mais aussi les punir quand ils foulent aux pieds les règles communes édictées. Ne reculant pas face à ceux qui s’estiment puissants, intouchables et parfois indéboulonnables.
Tout le monde doit être logé à la même enseigne. La démocratie se nourrit aussi des principes d’équité et d’égalité.
Hamed Koffi Zarour,
Président de AGIR pour la CÔTE D’IVOIRE