La posture et le ton sont volontairement très solennels. La vidéo, publiée vendredi 9 septembre sur Facebook, dont la parution a été soigneusement annoncée quelques jours à l’avance, dure une quinzaine de minutes. Assis derrière un bureau, devant des fenêtres habillées de lourds rideaux beiges, dos droit, costume sombre cintré, Charles Blé Goudé commente l’actualité, notes à l’appui.
S’il est longuement question de l’affaire des soldats ivoiriens retenus au Mali, le fond du propos s’avère vite un peu fourre-tout avec une analyse de la situation sécuritaire et sociale au Mali et un point de vue sur l’augmentation du salaire des fonctionnaires en Côte d’Ivoire. C’est la première fois que l’ancien ministre ivoirien de la Jeunesse s’exprime ainsi longuement, seul face caméra, un an et demi après son acquittement définitif par la Cour pénale internationale (CPI) de crimes contre l’humanité, institution où il doit toujours pointer deux fois par semaine.
« On ne revient plus là-dessus »
Depuis La Haye, Charles Blé Goudé soigne sa communication et son image. L’évocation des Jeunes patriotes, dont il fut le leader, ou l’attribution du surnom de « général de la rue » sont à éluder, suggère son entourage. « Ce sont des pseudonymes qui étaient utilisés dans un contexte bien précis, à une autre époque. Une époque qui est passée, on ne revient plus là-dessus. Tout évolue, tout est dynamique », développe l’ancien leader étudiant lors d’un entretien qu’il accorde exceptionnellement par téléphone. Jusque-là, seuls les journalistes se déplaçant au Pays-Bas pouvaient l’interroger. Une mesure visant, d’après ses communicants, à limiter les mauvaises interprétations ou les propos tronqués. Plus certainement à contrôler son image, tandis qu’à Abidjan, ses soutiens mènent une campagne contre « la diabolisation de Charles Blé Goudé ».
Celui qui se présente dans la vidéo comme « un opposant au régime d’Abidjan », tout en saluant certaines décisions d’Alassane Ouattara, leur promet de revenir « très bientôt » en Côte d’Ivoire, et entend faire taire « les mauvaises langues ». « Je ne continue pas de rester ici, à La Haye, par ma propre volonté », assure Charles Blé Goudé, dont le passeport ordinaire lui a été délivré le 30 mai dernier des mains de l’ambassadeur de Côte d’Ivoire au Pays-Bas.
Des discussions se poursuivent avec le chef de cabinet du président ivoirien, Claude Sahi Soumahoro. « Je demande un peu de patience à mes partisans. Des discussions sont en cours, comme cela a été le cas pour tous les acteurs politiques qui sont rentrés d’exil, avec l’accord du président de la République. Dès qu’une date consensuelle sera trouvée avec les autorités, elle vous sera communiquée », les rassure-t-il.
Plusieurs points sont toujours sur la table, dont la question de la sécurité entourant son retour et celle de sa condamnation à vingt ans de prison, prononcée fin 2019 par la justice ivoirienne pour sa participation à la crise postélectorale de 2010-2011. « Je ne veux pas quitter une prison pour aller dans une autre, insiste-t-il. Je veux rentrer sur fond de paix, de manière consensuelle avec les autorités. Mon seul objectif est de contribuer à l’apaisement et d’œuvrer pour la réconciliation. »
Divorce avec Gbagbo
Loin de l’apaisement souhaité, c’est plutôt d’un divorce dont il est question avec son mentor et co-accusé Laurent Gbagbo, de retour en Côte d’Ivoire depuis juin 2021. Au sein de la nouvelle formation politique de l’ancien président, Charles Blé Goudé est désormais ouvertement considéré comme « un adversaire politique ». « Le jour où monsieur le ministre Charles Blé Goudé a transformé le Cojep en parti politique [le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples, mouvement devenu parti en août 2015], cela a signifié la rupture, c’est une évidence. Nous le disons sans aucune haine. S’il arrive, et qu’il rentre comme nous dans la compétition pour la conquête de l’État, nous le traiterons comme nous traitons les autres adversaire politiques. Après, on peut se rencontrer, mais sur le terrain politique, nous sommes adversaires », tranche le porte-parole du Parti des peuples africains (PPA-CI), Justin Koné Katinan.
Une sortie médiatique abondamment commentée en Côte d’Ivoire fin juin, que s’explique mal Charles Blé Goudé. « Eux seuls, que je considère comme des compagnons de lutte et d’exil, peuvent expliquer la virulence de ces propos à mon égard, déplore-t-il. Pour ma part, je ne rentrerai pas dans ce conflit, je ne serai pas au rendez-vous de cet affrontement et je parlerai avec eux le moment venus avec eux en Côte d’Ivoire. Ils annoncent le divorce, je le refuse. Je suis dans une logique de rassemblement. »
Se tournera-t-il vers Simone Gbagbo, qui vient de lancer son parti, le Mouvement des générations capables (MGC) ? Vers Pascal Affi N’Guessan, le patron du Front populaire ivoirien (FPI), qu’il a accueilli cet été à La Haye ? « J’ai reçu beaucoup de leaders politiques, fait remarquer Charles Blé Goudé. Je n’ai pas encore de visibilité sur ce que je ferai à mon retour. Ce qui est certain, c’est que je vais m’accorder le temps de parler avec tout le monde. Quand on se radicalise, on se marginalise. » Charles Blé Goudé sait de quoi il parle.