Gâchis, échec, recul : les mots ne manquent aux Ghanéens pour qualifier la situation économique dans laquelle se trouve actuellement leur pays. Pour le gouvernement du président Nana Akufo-Addo, la pilule est plus qu’amère. Le 1er juillet, le chef de l’État avait dû annoncer, tout contrit, que le pays solliciterait de nouveau l’aide financière du Fonds monétaire international (FMI). Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, cet avocat a lancé de nombreuses initiatives pour redonner à ce pays riche en or et en cacao, son indépendance économique, à partir d’une nouvelle doctrine intitulée « Ghana Beyond Aid ». Après avoir été la terre d’excellence du panafricanisme politique dans les années de l’indépendance, le pays se rêvait en modèle continental d’une certaine idée de l’émancipation économique africaine.
Mais c’était compter sans la pandémie mondiale de Covid-19 et ses conséquences néfastes sur les économies africaines. Le Ghana a beau être la deuxième économie d’Afrique de l’Ouest, il n’a pu se relever deux ans après, et surtout, Accra est aussi frappé par les effets de la guerre en Ukraine avec une inflation à deux chiffres, à 27 %. Sauf que, d’après les observateurs, les problèmes majeurs de l’ancienne Gold coast sont d’ordre structurels. En quelques années seulement, le pays s’est beaucoup endetté, le taux atteint désormais 78 % du produit intérieur brut (PIB) contre 62,5 % il y a cinq ans. Pour les analystes, c’est le signe que le gouvernement n’a pris aucune mesure concrète pour permettre à l’économie de résister aux chocs internes et externes. Le manque de discipline budgétaire du Ghana, et surtout sa forte dépendance à l’égard du financement étranger – avec jusqu’à 48 % de la dette publique totale détenue par des investisseurs extérieurs – rendent le pays vulnérable.
Dr Daniel Armateye Anim-Prempeh, président du think tank Initiative politique pour le développement économique en Afrique et de l’Institut agréé des analystes financiers et d’investissements du Ghana est revenu en détail pour Le Point Afrique sur les différents enjeux qui sous-tendent ce nouvel appel à l’aide au FMI, le 17e depuis l’indépendance du pays, en 1957.
Dr Daniel Armateye Anim-Prempeh : Le président Akufo-Ado, en affirmant ces dernières années que le pays ne ferait plus appel au Fonds monétaire international, avait en quelque sorte, théorisé la fin de la dépendance du Ghana à l’aide internationale. Donc, aujourd’hui, effectivement, le constat est amer, puisque le Ghana retourne auprès du FMI pour solliciter son aide financière.
La principale explication est que les réserves s’amenuisent partout et la banque centrale du Ghana fait également face à une baisse de ses réserves de change. Ceci signifie tout simplement qu’il y a une hausse du taux de change et de l’inflation. Pis, le taux d’emprunt sur les marchés financiers augmente par la même occasion.
Or, le pays a besoin d’honorer ses échéances de remboursement sur le marché financier international. Le gouvernement a donc besoin de renflouer les caisses afin de pouvoir honorer ses dettes.
Sur les autres indicateurs, la croissance du PIB réel a ralenti, le flux des exportations n’est plus au même niveau qu’avant la crise sanitaire. Autant de motifs qui ont contraint le gouvernement ghanéen – qui n’a pas d’autre option en réalité – à recourir de nouveau à une aide financière de l’institution financière internationale.
Je peux décrire la situation qui prévaut actuellement comme une revanche de la réalité économique sur le populisme de certains dirigeants. Toutefois, le mal est déjà à nos portes. J’espère que l’arrangement avec le FMI sera bientôt conclu afin que ce flux financier puisse nous permettre de relancer notre économie.
Est-ce un aveu d’échec du gouvernement dans l’élaboration de sa politique économique ces dernières années ?
Pour beaucoup, ce retournement de situation sonne comme un aveu d’échec de la part du gouvernement ghanéen dans son approche des questions économiques. Il est vrai qu’avant les dernières élections générales, il y avait des cas de dépenses irrégulières et de mauvaise gestion dans l’administration. Certains rapports évoquaient même des cas de corruption. Autant de signaux annonciateurs de la situation que nous connaissons aujourd’hui.
Le principal reproche porte sur ce recours massif aux emprunts sur le marché international. Les emprunts réalisés n’ont pas été investis convenablement dans les secteurs vitaux de l’économie. Le gouvernement a échoué dans la gestion de certaines réalités économiques du pays.
Pour preuve, au début juillet, il était question de recourir à une facilité financière d’environ 1,5 milliard de dollars auprès du FMI, désormais le gouvernement envisage d’emprunter 3 milliards de dollars. Ce qui n’est pas une surprise, compte tenu des emprunts importants du Ghana auprès des bailleurs de fonds commerciaux, le pays doit faire face à l’augmentation du coût de la dette. Car, les taux d’intérêt proposés par certains acteurs sur le marché financier sont plus importants avec la crise de l’économie mondiale que nous traversons. C’est pour cette raison que le pays a besoin urgemment de renflouer ses caisses avec ce flux financier du FMI qui va s’accompagner de nombreuses exigences.
On a beaucoup parlé ces dernières années du recours systématique du Ghana aux marchés financiers internationaux. Cette politique a-t-elle montré aujourd’hui ses limites ?
C’est peu de le dire que cette politique a montré ses limites ! En fait, le Ghana a énormément emprunté sur les marchés des capitaux, la dette est aujourd’hui estimée à environ 80 % du PIB. La marge de manœuvre pour emprunter sur le marché des capitaux est donc très limitée. La situation est d’autant plus compliquée que plusieurs agences de notation internationales ont dégradé la note du Ghana.
Dans tous les cas, si le pays veut à tout prix emprunter sur le marché des capitaux, la marge des intérêts ne sera pas assez favorable en termes de respect des obligations de paiement qui lui seront imposées.
Il faut également savoir que quand l’encours de la dette extérieure est haut, les obligations en matière de remboursement de la dette sont aussi élevées. C’est plus grave quand le pays se retrouve en défaut de paiement, car, à ce moment-là, les créanciers hésitent à lui prêter de l’argent, puisque le pays est devenu peu solvable à leurs yeux.
Ce n’est actuellement pas le cas pour le Ghana, mais les données ne sont pas en notre faveur. Compte tenu de la situation actuelle, tout créancier qui voudrait bien prêter au Ghana, le fera à un taux d’intérêt très élevé. C’est la raison principale pour laquelle les autorités ghanéennes ont décidé de recourir aux prêts du FMI.
Le Ghana est actuellement confronté à une forte tendance inflationniste. Quel est le taux d’inflation actuel et quelles en sont les conséquences sur la vie quotidienne des Ghanéens ?
Selon les chiffres publiés par l’agence des statistiques du Ghana, l’inflation est aujourd’hui estimée à 31,7 %. Cela signifie que les prix de biens et services dans le pays ont également augmenté de 31,7 % et cela implique que la valeur de la devise du pays, c’est-à-dire le cedi, a diminué d’environ 31,7 %. Dans ce cas d’espèce, la fonction d’une monnaie en tant qu’une réserve de valeur ne pourra pas bien s’apprécier. C’est pour cette raison que la plupart des personnes fortunées du Ghana préfèrent pour le moment, à cause de la pression inflationniste, convertir leurs cedis se trouvant sur leurs comptes, en dollars, dans les banques. Cette situation contribue aussi à mettre plus de pression sur le cedi à travers le taux de change.
La pression inflationniste est forte alors que les revenus des Ghanéens sont restés les mêmes. Il y a un renchérissement du coût de la vie et cela se fait sentir dans toutes les régions du pays. Cette inflation a aussi des répercussions négatives sur les investissements dans le secteur privé, car elle contribue à la hausse du coût du capital puisque le secteur privé du Ghana ne peut plus aujourd’hui emprunter comme il le faut pour booster la production et créer plus d’emplois.
Les signaux macroéconomiques ne sont pas tellement bons, mais j’ose croire que tout reviendra à la normale à partir de 2024, car il n’y aura pas un grand changement l’année prochaine. J’avais prédit une inflation de l’ordre de 30 % en début d’année, mais nous en sommes à 31,7 % après le premier semestre 2022. Je pense que si le pays maintient cette cadence, on risque fort d’atteindre un taux d’inflation de l’ordre de 40 % à la fin de cette année et cela sera très dommageable pour le pays.
Quelles sont les causes de cette inflation ?
Les facteurs à la base de cette forte pression inflationniste proviennent de l’offre. À titre d’exemple, je peux citer, la hausse du prix du carburant qui conduit à une flambée du coût du transport, ce qui, par ricochet, affecte le coût des biens et services à travers tout le pays.
Mais, la mesure prise par la banque centrale du Ghana pour endiguer cette pression inflationniste en jouant sur le taux directeur ne fonctionne pas pour l’instant. D’ailleurs, je pense que cette stratégie ne fonctionnera pas. Le taux directeur était de 14,5 % en janvier, mais il a augmenté en mars pour atteindre 17 % puis finalement 19 % en juillet. Je pense qu’en voulant dans ce cas d’espèce augmenter le taux directeur, on fait également grimper le taux d’inflation. À titre d’exemple, l’inflation était de 27,6 % en mai, 29,8 % en juin puis 31,7 % en juillet.
L’inflation va certainement poursuivre sa course ascendante sur plusieurs mois encore, car le prix des services d’utilité publique a également augmenté au Ghana. En effet, les prix de l’électricité et de l’eau ont augmenté respectivement de 28 % et 22 %. Donc, cette mesure de la banque centrale pourrait seulement permettre de maintenir à un niveau acceptable la valeur du cedi, mais cela ne va nullement contribuer à endiguer cette pression inflationniste.
Face au manque de ressources financières, les autorités ghanéennes ont introduit de nouvelles taxes, dont la taxe sur les transactions électroniques communément appelée « e-levy » pour mobiliser des ressources additionnelles internes. Quels sont les tenants et les aboutissants de cette décision pour les Ghanéens ?
La raison principale mise en avant par les autorités était qu’elles avaient besoin de mobiliser plus de ressources internes. Elles estimaient en ce moment qu’une fois ces ressources internes mobilisées à travers ces taxes additionnelles, le Ghana n’aurait plus recours à une quelconque aide financière du FMI. Malheureusement, ce que les autorités ont mobilisé à ce jour à travers l’introduction de ces taxes ne suffit pas pour appuyer le budget. C’est pour cette raison que le pays se tourne une fois de plus vers le FMI.
L’introduction de la taxe électronique communément appelée « e-Levy » affecte négativement l’inclusion financière dans le pays, car les gens n’acceptent plus de faire des transactions financières électroniques. Cette situation a des répercussions néfastes sur les activités de certaines microentreprises qui avaient misé sur les transactions électroniques, notamment durant la crise sanitaire. C’est une pilule difficile à avaler pour une frange de la population qui dépendait de ces transactions financières économiques.
Aujourd’hui, nous espérons que les autorités trouveront une alternative pour la mobilisation des ressources internes afin de réduire significativement le taux perçu sur chaque transaction électronique. C’est vrai qu’il faudra toujours mobiliser plus de ressources pour financer les projets, mais cela ne devrait pas se faire au détriment des populations.